Où va « Mutations »?

Mutations (premier quotidien privé camerounais) est en crise. Après une guerre de leadership entre le directeur de publication (Haman Mana) et son patron, le président du comité éditorial (Protais Ayangma), le premier cité a décidé, le 16 juillet, de claquer la porte du South Media Corporation (SMC), la société propriétaire du journal. Et avec lui, une bonne brochette de journalistes a aussi quitté le navire. Revendiquant la paternité de deux titres du groupe (Mutations et le magazine Situations), Haman Mana a décidé d’aller en justice pour mettre en demeure son ancienne entreprise de ne plus les utiliser. Ce que contestent son ancien patron et certains des plumes restés fidèles à la SMC. L’affaire est donc au tribunal. En attendant, deux titres paraissent depuis plus de dix jours dans les kiosques au Cameroun, avec le même nom Muatations. Drôle? Même pas. Pathétique surtout, quand on sait que, au final, ni l’un ni l’autre ne sortiront indemnes en terme d’image de cette affaire.  Bien plus, et c’est là le plus grave à mon avis, quand on sait que, la crise ou plus généralement les problèmes dans un média, donnent toujours une belle occasion de moquerie et de raillerie à tous les ennemis de la presse (et Dieu seul sait qu’ils sont nombreux dans un pays comme le Cameroun). Dans ce texte, nous tentons de présenter les grandes étapes de ce qui est communément appelé désormais « L’affaire Mutations ».

Historique

Mutations a été lancé officiellement en kiosque en milieu d’année 1996. Le journal, à l’époque tri-hebdomadaire, venait ainsi enrichir les rangs de la presse camerounaise qui comptait déjà Cameroon Tribune (le quotidien gouvernemental, bilingue), Le Messager, Challenge Hebdo, La Nouvelle Expression, Dikalo et aussi quelques journaux à sensations ou à périodicité très irrégulière comme Le Combattant. Dès ses premiers numéros, le journal se révelait déjà comme l’un des titres les plus sérieux du pays. En effet, l’équipe de départ était constituée de vrais professionnels, pour la plupart diplômés de l’Ecole de journalisme de Yaoundé. Certains avaient déjà exercé ailleurs (dans le public comme dans le privé), d’autres arrivainet fraîchement des bancs de la fac pour faire leur classe dans ce journal. En outre, le Conseil éditorial avait à sa tête, deux éminentes personnalités; Maurice Kamto, juriste de rénommée internationale, ancien doyen de la fac de droit de Yaoundé, et aujourd’hui ministre délégué à la justice, et, Protais Ayangma, homme d’affaires, intellectuel, patron d’une grande compagnie d’assurance du pays.

Tout ce beau monde, dans un casting improble, mais réalisé, s’est donc attelé à la mise en route de ce journal. Scoop politiques, analyses économiques de bonne facture, déploiement sur l’espace national à travers des correspondants un peu partout dans le pays, et même à l’étranger, où le quotidien a compté jusqu’à trois (3) correspondants à Paris. Sur le plan professionnel, l’affaire a donc pris dès les premières années. Mutations est passé au quotidien dès les années 2000, devenant ainsi le premier journal camerounais à capitaux privés à paraître tous les jours (sauf le week-end). La réussite est aussi financière. Mutations engrange des bénéfices tirés de la vente de ses numéros, certes, mais aussi et surtout de la publicité. Car, de nombreux annonceurs lui font confiance. C’est cette embellie financière qui leur permettra plus tard de lancer « Les cahiers de Mutations », un magazine mensuel, et aussi Situations, un magazine  »people ». Tout allait donc bien, jusqu’à cet été; précisément depuis la crise survenue après la démission du directeur de publication, et le « schisme » qui s’en est suivi. Que s’est-il donc passé?   

Les faits

Il semblerait que le climat était délétère depuis près d’un an au sein de ce groupe. Des plaintes et autres recriminations se faisaient entendre en sourdine, qui, quasiment toutes, contestaient la gestion de Haman Mana (HM), le directeur de Mutations et des autres titres du groupe (Situations et Les Cahiers de Mutations). Cette situation « pourrie » a culminé avec la tenue d’un Conseil d’administration du groupe en debut juillet dernier, au cours duquel, le directeur des publications HM a été mis en minorité face au président du Conseil éditorial Protais Ayangma (le vrai patron du groupe). Ce dernier, semble t-il, se serait allié une partie de la rédaction, et notamment quelques grosses pointures du canard.

Les principales décisions de ce CA dit de « restructuration » auront été notamment la décision prise par les administrateurs de séparer la direction des trois titres du groupe; et ainsi, consacrer par là-même « l’autonomisation » de chacun de ses titres. C’est-à-dire, pour aller vite, que désormais, il y aurait un Directeur pour Mutations, un autre aux Cahiers de Mutations, et un directeur pour Situations. Haman Mana, qui jusque-là occupait les trois fonctions s’est vu proposer la seule direction de Mutations. deux de ses collaborateurs étant eux nommés à la direction des autres titres. En outre, un directeur administratif et financier du groupe a été désigné pour « surveiller les caisses » des journaux. En apparence réaliste et prgamatique, ces décision, à en croire certains, n’étaient pas dénuées d’arrières-pensées. Elles consistaient, de fait, à écarter HM de la gestion. A ce qu’il paraît, un audit commandité aurait révélé quelques indélicatesses financières. Lesquels? Les administrateurs ne les ont jamais rendues publiques.

Qu’à cela ne tienne, face à ce qu’il a jugé comme un « coup d’Etat », HM a décidé de claquer la porte. Motivé en outre par le fait que, lundi 9 juillet, son  »patron » Protais Ayangma a signé un Editorial dans les colonnes du quotidien, dans lequel il « humiliat » quasiment son collaborateur. En effet, dans ce texte, il pointait, par des mots à peine voilés, les fautes et manquements de son directeur de publication.  »Certains de nos collaborateurs ont pu prendre des libertés avec l’éthique professionnelle et déontologique », disait-il notamment  dans ce papier. Une allusion euphémique pour parler de mauvaise gestion. Il semblerait que les discussions en aparté entre les deux hommes n’étaient plus possibles. HM a même tenté de publier lui aussi un Edito dans l’édition du lundi 16 juillet de Mutations, mais son texte a été censuré, dit-il. Affront de trop; il a convoqué la presse à Yaoundé pour annoncer avec fracas qu’il s’en allait. Dès le lendemain, la « guerre » était déclenchée pour le contrôle du titre phare. les huissiers et autres avocats de deux camps étaient au charbon pour constater la « faute » de l’autre. La presse gouvernementale et les médias privés en faisaient aussi leur choux gras. 

« L’affaire Mutations » se transportait aussi sur le terrain politique. Mais c’est surtout dans la profession qu’elle suscita le plus de réactions. Plusieurs éminents journalistes, et des personnalités de la société civile prirent fait et cause pour le « camp Haman Mana », arguant que son éviction portait un rude coup à la liberté d’expression, et une sérieuse ménace à la profession. En face, certains journalistes restés fidèles à la SMC publiaient des tribunes régulières dans leur journal et donnaient aussi des interview dans lesquels ils disaient en substance que « la liberté de la presse n’est pas ménacée. La gestion de HM n’était plus tenable, et, qu’il était temps de changer les choses ». En clair, chaque camp avançait ses arguments dans la presse pour démontrer que c’est lui qui a raison dans l’affaire. C’est le tribunal de Yaoundé qui rendra le verdict dans ce « combat ».

En attendant, ce qu’on peu d’ores et déjà dire, c’est que Mutations (ou ce qu’il en reste) ne sortira pas grandit de cette crise. Ni d’ailleurs ses principaux acteurs, qu’ils soient journalistes, administrateurs, ou simples sympathisants. Le risque pris par les deux camps d’aller au « schisme » est aussi une bêtise énorme; car, il est peu certain qu’il y ait de la place pour deux titres éditorialement pareil dans l’espace de la presse camerounaise. Comment vont-ils faire pour convaincre les lecteurs? Combien en convaincront-ils pour continuer d’exister? Quand on sait que même du temps de sa spendeur, Mutations (comme d’ailleurs les autres quotidiens camerounais) dépassent péniblement les 8000 exemplaires vendus par jour, et que, maintenant coupé en deux (si on suppose que chacun prendra la moitié dans les lecteurs -acheteurs, soit 4000 exeplaires par jour) on ne peut pas être optimiste pour la survie de l’un ou de l’autre Mutations.

En espérant que, passée la tempête de la dispute, les acteurs de « l’affaire Mutations » reviendront à la raison. Pour continuer à faire vivre ce journal qui est au Cameroun ce que Libération est en France. C’est-à-dire un journal libre, sérieux, non inféodé au pouvoir (une chose rare en Afrique) et qui promeut des idées progressistes.

 

 

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