Ca commence à ressembler à une sale affaire. Une affaire qui sent même mauvais. Cette affaire, c’est celle des enfants du Darfour qu’une Association française (l’Arche de Zoé) avait voulu « acheminer » en France pour les y faire adopter, au prétexte qu’ils sont orphelins. Une initiative que les promoteurs annonçaient comme une « opération humanitaire » se révèle être à présent un fiasco total. Pire même, c’est désormais une « affaire d’Etat » qui implique la France ainsi que deux pays africains, le Tchad et le Soudan.
Le sujet est brûlant, complexe aussi. Rappelons rapidement le contexte. Des français engagés comme « humanitaires » au Darfour ont été arrêtés au Tchad entrain de tenter d’emmener avec eux une centaine d’enfants africains vers la France à bord d’un avion spécialement affrété. Pour leur défense, ils disent que ces enfants sont des orphelins soudanais, dont les parents sont morts dans la guerre du Darfour. En rappel, signalons que le Darfour est une vaste région à l’ouest du Soudan qui est en proie à un grave conflit depuis quelques années. D’abord interne, il est devenu ensuite un conflit régional opposant en sourdine le Soudan et le Tchad. Il a déjà fait plusieurs milliers de victimes et des millions de déplacés; notamment les femmes et les enfants.
C’est donc parmi ces enfants déplacés que les membres de l’association l’Arche de Zoé sont venus recueillir une centaine de gamins pour les emmener en Europe. Mais, curieusement, ils ont réalisé cette initiative sans aucune démarche légale, sans autorisation ni du gouvernement français, ni soudanais, ni tchadiens. Arrêtés par les autorités de N’djamena alors qu’ils s’apprêtaient à embarquer pour la France avec ces enfants, 6 membres de l’association et trois journalistes qui les accompagnaient sont depuis retenus prisonniers dans ce pays. Depuis quelques jours maintenant, ils sont donc au centre de cette affaire, qui risque de faire couler beaucoup d’encre et de salive. D’autant plus que, les contours de ce dossier semble être difficiles à cerner.
Accusés d’être des « esclavagistes » des temps modernes, les »humanitaires » arrêtés ne se sont à ce jour pas montré très convaincants dans leurs explications. On a de la peine à donner du crédit aux différents arguments qu’ils avancent. De fait, la « générosité », « l’humanisme », la « solidarité » envers des pauvres petits orphelins qu’ils mettent en avant pour expliquer aussi leur initiative ne paraissent pas crédibles. Du coup, ils ne sont pas beaucoup soutenus par les autorités françaises; on pourrait même dire qu’ils sont « lâchés » par ces derniers quand on voit comment Rama Yade (nommée par ailleurs pour diriger la Cellule spéciale sur ce sujet), membre du gouvernement met une belle énergie sur les plateaux télé à condamner l’initiative controversée de cette association. Bien plus, ils sont aussi menacés par les autorités des deux pays africains concernés par le sujet; et notamment le Président Idriss Déby en personne. Ce dernier, qui a rendu visite aux enfants en question et aussi aux membres de l’Arche de Zoé arrêtés a donné son sentiment dans cette affaire. Pour lui, ces gens avaient en fait l’intention de « faire partir ces enfants pour les livrer à des réseaux de pédophiles en Europe ou même les tuer et vendre leurs organes ». Le président tchadien est même allé plus loin, car il a insinué que les membres de l’Arche de Zoé ne peuvent, en fait, être que la face visible d’un « réseau » de pédophiles ou de trafiquants d’enfants, venus d’Europe faire leur « marché » en Afrique.
Cette idée peut paraître courte et sotte, mais, à voir la conviction avec laquelle le chef de l’Etat tchadien la martelait à la télé, on ne doute pas à croire qu’elle existe et fait son chemin dans l’esprit de plusieurs de ses compatriotes et même bien au delà. D’où vient-elle? Et, qu’est-ce-qui la soutend? Difficile à dire. Il se pourrait tout simplement que, depuis les médias occidentaux diffusent les affaires de pédophilies survenues dans certains pays européens (Belgique avec l’affaire Dutroux, ou en France et le « scandale » d’Outreau…), ou même encore les histoires d’enfants enlevés et retrouvés morts sans certains de leurs organes, bon nombre d’africains n’hésitent plus à penser que les enfants sont ainsi maltraités en Europe.
En analysant la réaction du gouvernement français, qui s’est désolidarisé de l’initiative de l’Arche de Zoé, et du gouvernement tchadien, qui s’est exprimé par les propos de son président cité supra, quelques intuitions me viennent. Premièrement, j’ai peur qu’un dossier aussi sensible ne finisse pas se traiter simplement par l’agitation et la frénésie des uns et des autres à vouloir, soit ne pas y être mêler (la France), soit profiter de la situation pour des raisons inavouées (le Tchad).
Deuxièmement, il serait temps que, Paris, qui avait certainement connaissance des activités de cette association qui, comme tout le monde peut se rendre compte en rentrant sur leur site Internet (www.archedezoe.fr), qu’elle exerce bien dans cette région depuis un moment. Le projet de faire « adopter » des enfants et particulièrement ceux du Darfour est même bien explicité dans leur page d’accueil. Il serait étrange d’affirmer que dans un pays comme la France où tout semble bien être contrôlé et vérifié, que personne en tout cas dans les arcanes ministériels n’ait eu vent de cette association et de ses activités au Soudan et au Tchad. De ce fait, il serait donc important de dire si, les autorités ont donc souvent « fermer les yeux » sur ce genre d’agissements (ce qui serait grave) ou continuer à dire qu’elles ne savaient rien (ce qui est tout aussi grave).
Troisièmement, il faudrait faire attention à ce que le président tchadien et bien d’autres personnes encore sur le continent ne prennent cette affaire en otage pour des raisons autres que celles qu’elle dégage. Car, dénoncer la chose en elle-même est certainement juste. Mais, parler d’un complot ourdi par des réseaux obscurs et mal intentionnés, comme le fait Idriss Déby, sans en avancer une seule preuve, c’est aller trop loin dans l’accusation sans fondements. Le maître de N’djamena voudrait ainsi faire oublier les problèmes internes liés à ce pays, qui rendent cette situation possible. Vouloir donc l’imputer entièrement aux « européens » comme il le dit si bien, c’est fuir ses propres responsabilités de mauvais dirigeants ayant occasionné, sinon participé à la crise qui fait du Darfour aujourd’hui un lieu sinistre pour beaucoup de personnes, au premier rang desquels les enfants. Comme cette centaine de garçons et filles au centre de ce qui est aujourd’hui « l’Affaire des enfants du Darfour ». Nous y reviendrons au fur et à mesure que d’autres éléments sur les enquêtes en cours seront révélées.
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