Sylvain Bemba, le « héros » de Léopolis

C’est un auteur pas très connu. Pourtant, son oeuvre est grande. Sa personnalité aussi l’était. Je dis « Etait », parce que Sylvain Bemba n’est plus de ce monde. Voici 12 ans qu’il est décédé. Parti à la fleur de l’âge; à juste plus de 60 ans (1934 – 1995). La même année qu’un autre grand (très grand même) écrivain congolais, Soni Labou Tansi. Mais, si l’homme Sylvain Bemba est mort , l’auteur, l’homme de culture et de médias demeure vivant. Plus vivant que jamais même. D’ailleurs, c’est après sa mort que son oeuvre a commencé à être vraiment abordé. Pourtant, cette oeuvre, riche, diverse et intéressante, aurait du être à l’honneur plus tôt. Car, l’homme avait toutes les casquettes devant le conduire à la notoriété. En effet, il était écrivain, nous l’avons déjà dit. Et en tant qu’écrivain, il a touché à presque tous les grands genres littéraires: la poésie, le théâtre et surtout le roman. Bien plus, il publié aussi une « Encyclopédie » de la musique des deux rives du Congo, le sien, et celui de Kinshassa. Mais c’est dans le journalisme que Bemba a aussi déployé une bonne partie de son talent littéraire. Journaliste, ainsi se définissait-il. Et dans cette profession, il aura exercé tour à tour à la radio, à la télévision (il fut d’ailleurs patron de la jeune chaîne de télé publique de son pays) et notamment dans la presse écrite. il commença a user de sa plume pour raconter l’info très jeune, à 18 ans à peine. Il la poursuivit pendant près de 30 ans. Avec la même ferveur. Cette ferveur, il la déploya aussi dans les autres activités qu’il exerça. 

J’ai découvert Sylvain Bemba il y a quelques années, au hasard d’une lecture. En effet, je suis tombé par hasard dans une bibliothèque sur un roman appelé Léopolis. Par curiosité, j’ai choisi de le lire. J’ai pris deux soirées à le faire; et j’en suis tombé sous le charme.

J’ai donc décidé de faire des recherches complémentaires sur son auteur. Et c’est ainsi que j’ai eu la chance de connaître l’auteur Sylvain Bemba plus amplement et surtout son oeuvre complète. Bemba a vécu comme un penseur. Comme quelqu’un qui pensait plus qu’il ne vivait. Il a été précoce dans l’éclosion de sa pensée, qui, est très vite arrivée à maturité. Il a aussi été à l’avant-garde sur d’autres sujets. Il ne s’est pas exilé, ou mis en marge des problèmes réels de la société congolaise dans laquelle il a presque toujours vécu. Il a mis la main à la patte et dans le cambouis même, pour la construction de son pays. Militant par la plume (comme écrivain », il l’a aussi été par le verbe et par l’action. Décryptant la vie politique comme romancier, il l’a fait aussi comme journaliste et homme politique lui-même; puisqu’il a été député de la nation au Congo.  

En 1995, quelques mois avant sa mort, le Département de Littératures et Civilisations Africaines de l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville décida de lui consacrer tout un colloque. Les actes de ce colloque furent publiés dans un livre fort intéressant appelé « Sylvain Bemba; l’Ecrivain, le Journaliste, le Musicien ». Les Pr Mukala Kadima-Nzuji et André-Patient Bokiba furent les coordinateurs de ce travail. Dans l’ouvrage, pas moins de 20 publications, en rapport avec tel ou tel aspect de la vie réelle ou littéraire de l’illustre homme furent évoqués. Quand le colloque se tenait, Sylvain Bemba était interné à l’Hôpital du Val de Grâce à Paris. de son lit d’hôpital, il envoya une correspondance amicale à l’ensemble des participants au colloque de Brazzaville. En épitaphe de ce texte, il dit ceci: 

« j’ai eu soixante ans en 1994; Dieu daignera-t-il fixer la limite au-delà de laquelle mon ticket cessera d’être valable? »  

S’il avait voulu prévenir ses amis et les autres personnes qui s’intéressaient à lui (notamment les participants au colloque) de sa mort prochaine, il ne se serait pas pris autrement. En effet, deux mois après cette belle épitaphe, il rendait les armes. Mort à Paris. Mais toujours vivant à Brazzaville et dans tous les quartiers de cette ville. De Makéléké à Poto Poto, de Bacongo à Moungali et ailleurs encore. Toujours vivant parce que ses obsèques donnèrent lieu à des réjouissances grandioses et aussi à des hommages de tout le pays et bien au delà. Le texte que nous publions ici, fait partie également de ces hommages. posthumes. Douze ans après. Pour que Sylvain Bemba ne soit jamais oublié. 

Bemba lui-même avait le souci de célébrer des hommes illustres et faire en sorte qu’ils ne sombrent pas dans l’oubli. C’est ainsi qu’il entreprit de rendre hommage, à sa manière, à Fabrice LUMUMBA. Son roman Léopolis, publié en 1984, est un texte tout entier dédié à la mémoire de l’ancien Premier ministre du Congo Belge. Dans cet ouvrage, dans lequel Lumumba est appelé Fabrice M’Pfum (littéralement « Fabrice le chef », M’Pfum signifiant le chef), Bemba s’intéresse plus particulièrement aux derniers jours de son illustre héros. Pour lui, Lumumba est un Mythe. Un « mythe africain ». Il le dit clairement dans ce texte, et aussi dans les notes paratextuelles relatives à ce roman. L’un de ses personnages, appelé Miss Norton dit ceci à propos du héros « « Fabrice M’Pfum est celui par qui votre pays a reçu un supplément d’humanité sans lequel toute nation est condamnée à dériver. Comme un navire à quai, chaque pays a besoin d’un héros tel que Fabrice que l’on jette sous les eaux à la manière d’une ancre pour stabiliser le bâtiment ». Point n’est besoin de commenter cette affirmation; tout y est clair. 

De Léopolis, Bemba fait aussi une oeuvre sur l’histoire de l’Afrique et en particulier celle du Congo Belge. A travers son héros, il aborde aussi la question de l’Afrique en période coloniale, celle de la naissance d’un élan panafricaniste, mais aussi et surtout celle de la période post-coloniale, avec toutes les complications y afférentes. Il propose plusieurs regards sur la découverte du continent et notamment sur la connaissance de Patrice Lumumba; celui de l’africain, porté par les wallabians, son peuple (avec comme symbole ici Mujima l’intellectuel) et celui de l’étranger, vu par Miss Norton, la jeune chercheuse américaine, venue en Afrique découvrir le mythe du « lion de Nkoï », périphrase désignant Fabrice M’Pfum. 

Léopolis est un texte simple et fort agréable à lire. Sa lecture ne laisse pas indifférent. On est marqué à la fois par le style tout en simplicité de l’auteur, les anecdotes, la description des personnages et des lieux naturels (forêt surtout). Je le recommande aux curieux, ainsi que les autres livres de cet auteur, comme la pièce de théâtre  Tarentelle noire et (1976) diable blancUn Foutu monde pour un blanchisseur trop honnête (1979)… 

 

 

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