L’Afrique (noire) est mal partie: épisode 2

Dans le précédant article sur ce sujet, j’évoquais le contexte historique du titre de cette Série. J’ai parlé de René Dumont, à qui on doit cette expression, de son oeuvre et notamment de sa pensée sur l’Afrique. Aussi, j’ai essayé d’expliquer quels éléments réels avaient présidé à la conclusion sentencieuse de M. Dumont. Je n’y reviendrais pas. A présent, je vais tenter d’étudier un premier cas qui permette de montrer en quoi, aujourd’hui, 45 ans après les propos de René Dumont, l’Afrique (noire) est (toujours et plus que jamais même) mal partie.

Dans la foulée des indépendances, c’est-à-dire les années soixante, les pays africains, sortis de l’ère coloniale, devaient amorcés leur décollage. Un décollage économique, politique, culturel… Comme acquis de base, il y avait des ressources naturelles (les matières premières, les ressources agricoles, animales et halieutiques) en abondance, mais peu de ressources humaines. Non pas qu’il n’y avait pas assez d’individus; mais des personnes compétentes dans tous les domaines pour amorcer et fixer le cap du développement du continent, on en comptait sur le bout des doigts. 

La première étape de cette « construction » de l’Afrique consistait donc en la formation de cadres et compétences nécessaires qui devaient accompagner ce processus. Tous les pays choisirent alors, d’une part, de créer des universités locales pour parvenir à cette fin; d’autre part, d’envoyer la plupart de leurs jeunes talents poursuivre ou parfaire leur formation à l’étranger, et notamment dans les anciennes puissances coloniales. A ce niveau, il convient de relever la première erreur de casting qui, on le verra plus tard, est une des raisons du retard ou tout simplement du ratage du développement de notre continent. Car, comment comprendre que ce soit dans les pays anciennement puissances tutélaires (et donc bénéficiaires de la plupart des ressources et richesses du continent) que nos pays aient confié la formation de ceux qui justement étaient appelé à remplacer l’administration coloniale? 

C’est pour le moins une maladresse si ce n’est tout simplement une bêtise. Parce que les méthodes de développement des anciennes puissances coloniales dans ces pays n’avaient toujours pas montré leur efficacité; parce que, aussi, elles avaient refusé de « libérer » les lieux, et, quand elles avaient accepté d’octroyer les indépendances, elles avaient traîné les pieds pour partir. Et, comment a t-on pu leur confier par la suite la formation des futurs cadres africains? C’était là une façon de se mettre la corde au cou, en acceptant que nos futurs dirigeants, formés dans les anciennes puissances coloniales, soient des produits formatés, pire même des toutous raisonnant, réfléchissant comme leurs « maîtres ».

En plus des futurs cadres formés à Paris, Lille, Lyon, Londres, Bruxelles et d’autres villes occidentales, il y avait aussi l’ensemble de ceux qui, sur place en Afrique, s’étaient déjà mis au service de l’administration coloniale. Les « Moniteurs indigènes », les « Petits soldats nègres » et autres supplétifs de l’administration coloniale étaient aussi des relais sûrs sur qui les anciens « maîtres » pouvaient s’appuyer après leur départ. De ce fait donc, des officines secrètes, via des réseaux plus ou moins officiels, sans compter l’appui de certains de leurs anciens subalternes devenus, par leur seule faveur, les nouveaux « maîtres » des lieux avaient été conservées pour poursuivre l’entreprise d’exploitation des richesses. Et ces subalternes, ces supplétifs, du fait qu’ils devaient aux « maîtres blancs » leur accession aux « Affaires », étaient de fait des espions ou tout simplement des nègres prompts aux sales besognes qui pouvaient leur être demandées par la suites. « L’Amitié » entre les mères-patrie et les anciennes colonies étaient essentiellement à ce prix. 

Cette amitié a donc été entretenue de cette manière dans bon nombre d’Etats. Au grand dam des peuples de ces pays africains, qui, parfois, ne savaient plus quelle était la différence entre la période sous colonisation et l’après indépendance. Seuls quelques pays ont su, ou ont essayé de s’affranchir du diktat de ce schéma sus-évoqué: La Guinée de Sékou Touré par exemple, le Ghana de Nkrummah, le Congo de Lumumba et dans une moindre mesure le Togo de Sylvanus Olympio et plus tard encore la Haute Volta de Thomas Sankara ou le Zimbabwé de Robert Mugabé. Mais on sait ce qui leur arriva par la suite; certains furent liquidés physiquement (Lumumba, Olympio, Sankara), d’autres retournés, marginalisés, ou chassés du pouvoir de manière brutale.

Tout ceci montre donc les premières erreurs qu’ont commises les nations africaines dans leur quête d’épanouissement, de développement. Erreur de choix de formation pour leurs futurs cadres dirigeants donc. Mais aussi erreur sur la nature des relations à entretenir avec leurs anciennes puissances tutélaires, erreur aussi dans les rapports à établir entre eux (les anciennes colonies). D’autres raisons existent, que nous développeront dans les prochains « épisodes » de cette série.

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