Dans les deux premiers épisodes de cette réflexion, j’ai abordé l’aspect historique du titre. De son auteur aux justifications contextuelles de ce titre. Puis, j’ai évolué dans cette réflexion pour montrer, par plusieurs éléments, pourquoi l’assertion de René Dumont était fondée. En effet, l’Afrique noire est (toujours) mal partie. Cela l’était en 1962 quand il a publié son ouvrage, cela l’est aussi encore aujourd’hui.
Certes, on n’est plus dans la même problématique, ou plutôt dans la même déclinaison de cet état de retard de notre continent. Bien plus, il y a même des avancées et des choses positives qui ont été réalisées sur le continent. Personnellement, et sans nier ou occulter ces aspects positifs et évolutifs, j’ai choisi de ne pas m’y intéresser. D’autres le font très bien. Pour des raisons qui leur sont propres. Et c’est tant mieux qu’ils puissent avoir des gens pour présenter « l’Afrique positive » comme on dit dans quelques milieux huppés aujourd’hui.
Moi j’ai choisi de parler de l’Afrique qui va mal. Parce que mon sentiment c’est que ce continent va très mal. Beaucoup plus qu’on ne le pense et qu’on ne prétend le dire. Le malaise est perceptible à plusieurs niveaux, qui, tous, justifient à tout le moins le titre que nous avons donné à cette série de réflexion. C’est un malaise lié à l’histoire et à certains choix qui ont été faits; j’en ai parlé dans les précédents « épisodes ». C’est aussi un malaise lié à la conjoncture socio-politique des deux dernières décennies. C’est à la lumière de ces deux derniers domaines que je vais aborder cette autre réflexion.
Les grands bouleversements politiques mondiaux du début des années quatre-vingt-dix, marqués notamment par la Chute du mur de Berlin et la fin du Communisme ne se sont pas arrêtés aux portes de l’Afrique. Bien au contraire même, cet élément spécifique a été le déclencheur d’une agitation politique et sociale sur le continent noir qu’on a rapidement et pompeusement baptisé de « retour au multipartisme et à la démocratie ». En fait, sous la pression de quelques chancelleries occidentales (France et Grande-Bretagne en têtes), les dirigeants de la plupart des pays africains ont autorisé certains de leurs compatriotes à créer des formations politiques. Dès lors, il n’y avait donc plus seulement le Parti unique, mais aussi des partis « d’opposition ». On a alors vu des centaines d’associations se déclarer comme parti politique et prendre un enregistrement public dans ce sens. Des plus farfelus aux plus excentriques.
Quelques-uns néanmoins, surfant sur une vague de mécontentement général, on parfois tiré leur épingle du jeu et se créer une place dans le champ politique et social du pays. Ainsi, à la faveur des premières consultations électorales qui ont été organisées, ils ont pu faire élire quelques députés ou maires issus de leurs rangs. Parfois même, dans certains pays, l’Alternance a pu s’opérer, et, un candidat issu de l’opposition est arrivé à l’emporter sur le candidat du Parti unique. On l’a vu au Bénin en 1991, au Congo en 1992, en RCA en 1993, et, un peu plus tard au Sénégal en 2000, pour ne citer que ses exemples-là.
Mais, de manière constante, le maintien des autorités issues des partis uniques, ou l’arrivée des dirigeants venus de l’opposition n’a pas souvent changé grand chose pour les populations africaines. Dans la plupart des pays, les retards en terme d’avancées démocratiques sont toujours aussi criants. L’éducation n’est presque pas aux normes de modernité et n’assure pas à ces lauréats un quelconque bonheur professionnel et/ou social. Le système sanitaire, économique et culturel n’est pas non plus structuré. Les populations, dans leur grande majorité, ont vu leurs conditions de vie se dégrader gravement. Résultat de tout ceci, la misère grandissante et surtout l’émigration massive vers l’Europe ou les pays un peu plus riches.
Le point culminant de ce malaise généralisé qui fait que, aujourd’hui encore, l’Afrique noire soit demeurée dans les starting-block, c’est la situation des Droits de l’Homme. On dirait, à l’analyse, que c’est un luxe en Afrique, tant ces droits sont bafoués et violés dans tous nos pays au quotidien. Les droits civiques sont à peine respectés; ceux liés à l’expression le sont encore moins. Tout ceci combiné fait dire à l’homme de la rue d’Abidjan ou de Dakar, ou de Douala, ou de Kinshasa ou encore d’ailleurs que notre continent est toujours mal partie. Et les choses ne vont pas s’arranger dans les mois et les années à venir.
Parce que, la grande affaire en vogue dans nos pays en ce moment, c’est la révision de la Constitution par les régimes en place, pour permettre aux présidents déjà en place de se représenter aux prochaines élections; en clair, d’être élu à vie et de mourir en fonction. Ca s’est vu au Togo de Gnassingbé Eyadema avant sa mort en début 2005, en Tunisie de Ben Ali; çà se trame au Cameroun de Biya, au Congo de Sassou, au Gabon de Bongo et dans d’autres pays encore. Les populations, souvent priées d’avaliser les mascarades de « référendums » qui vont valider ces « réformes » constitutionnelles, ne sont pas dupes. En règle générale, elles n’y vont pas, rendant les taux de participation à ces échéances, et plus globalement à tous les scrutins électoraux, exagérément faibles.
Pris en tenaille, et n’ayant pas d’autres choix que le pire (les pouvoirs en place) ou l’inconnu (les forces qui veulent le changement), les peuples africains sont désespérés et résignés. Beaucoup ont baissé les bras, et, tels des moutons, attendent qu’on les conduise soit au pâturage (rarement) soit…à l’abattoir (régulièrement). Ils ont renoncé à toute action violente pour se faire entendre et changer de gouvernement (comme cela a pu être initié par le passé dans certains pays d’Europe (Ukraine, Georgie) ou d’Asie (Kirghizstan) et d’Amériques). Ils savent que toutes confrontations directes avec les régimes tourneraient au bain de sang. Et donc, ils attendent que les situations changent d’elles-mêmes. Que la providence vienne faire bouger les choses. Et qu’enfin, notre continent décolle. Pour l’instant, çe n’est pas le cas. Mais on espère que çà le sera un jour. Dans dix, vingt, cent ans. Peut-être.