Depuis quelques jours, le Tchad est ébranlé par une guerre civile entre une rébellion armée qui veut chasser du pouvoir le président Idriss Déby, et les forces loyalistes. L’épisode actuel, est le énième d’une longue série qui date de pratiquement l’arrivée au pouvoir de M. Déby en 1990. Lui-même ancien chef de guerre, ayant pris le pouvoir par la guerre à la tête d’une rébellion. Dès lors, il s’exposait déjà alors à une chute quasi-identique. Si pour l’heure, les assaillants d’aujourd’hui ne sont pas encore parvenus à faire partir M. Déby, ce n’est que partie remise. Ils y arriveront bien à un moment ou un autre. Et si ce n’est eux, d’autres se chargeront de cela, certainement. Assurément même.
Non pas parce qu’ils ont ou auront raison ; ou encore parce qu’ils ont ou auront de meilleurs arguments de gouvernance que le président actuel ; mais, essentiellement pour deux choses : d’abord parce que, dans la configuration actuelle de ce pays (et dans beaucoup d’autres sur le continent), aucune autre possibilité n’existe pour envisager arriver au pouvoir. Les élections, des municipales à la présidentielle, en passant par les législatives et les sénatoriales, sont confisquées. Gagnées de manière récurrente par les mêmes qui sont en poste, parfois depuis plusieurs années. L’administration publique est « vérolée », contrôlée par les amis ou cadres du parti au pouvoir. Les leviers de la richesse échoient pour grande partie à ceux (minoritaires) qui sont proches du président et du parti qu’il préside. Or, ces gens qui « mangent » ne représentent pas la majorité, mais plutôt une petite minorité. Et dans le même temps, ceux qui « ne mangent pas » sont les plus nombreux. Et c’est souvent eux qui grossissent les rangs des rébellions pour réclamer juste un peu de « pain ». La rébellion, la guerre civile est donc d’abord et avant tout une question de survie (alimentaire, existentielle…) Le deuxième élément qui peut permettre d’expliquer la situation actuelle à N’djamena et dans les autres villes du pays est propre à l’histoire politique de ce pays. C’est celle qui tend à venir confirmer, voire valider la logique de prise du pouvoir par les armes, qui semble avoir fait son lit dans ce pays depuis l’indépendance en 1960. En effet, jamais aucun président n’est arrivé au pouvoir au Tchad par un autre moyen que par les armes. La guerre, la rébellion, semblent donc inscrit dans une espèce de continuité dans ce pays. Les époques, les années aussi changent, mais cette vision de la conquête du pouvoir ne change pas visiblement chez les tchadiens. Ce n’est certes pas une fatalité ; mais une habitude. Une habitude donc une seconde nature. Est-ce compréhensible ? Hier, François Tombalbaye, puis Felix Maloum, puis Goukouni Oueddei, puis Hissène Habré, ensuite Idriss Déby et peut-être maintenant Mahamat Nour (ou un autre chef rebelle), peuvent-ils justifier pourquoi choisir toujours la voie des armes pour la conquête du pouvoir ? Les réponses sont dans les éléments que nous avons avancés plus haut. Elles sont aussi dans les ambitions personnelles de ceux qui veulent arriver au pouvoir. Enfin, elles existent aussi dans l’attitude des pays voisins, des pays alliés et/ou de la communauté internationale (voir encadré). Le Tchad ébranlé aujourd’hui, c’est quelque chose de normal donc, que seuls les myopes n’auraient pas pu voir venir. La seule question qui soit pertinente en ce moment, c’est de savoir à qui le tour après ce pays ?
ENCADRE: Le rôle de la « communauté internationale » dans la crise tchadienne
Que fait la « communauté internationale » au Tchad ? La question mérite d’être posée. D’après les derniers rebondissement de la crise qui frappe ce pays ces derniers jours, on a cru entendre que « la communauté internationale » condamne la tentative de prise du pouvoir par la force au Tchad. En clair,
la France, l’Union africaine, les pays de l’Union européenne et bien d’autres encore, refusent de valider un probable coup d’Etat dans ce pays. On croit rire à cette idée. Car, si cette « communauté internationale » devait refuser tous les coups de force dans les pays africains, il y a longtemps qu’elle ne parlerait plus avec beaucoup des dirigeants passés ou actuels du continent. L’un des derniers en date est François Bozizé de Centrafrique. En 2003, à la suite de son coup d’Etat contre le président élu Ange-Félix Patassé, lui et son pays avait été mis au ban des institutions internationales ; avant d’être réintégré au plus vite. Il est certain que, si les mutins de N’Djamena réussissent leur coup, c’est sans doute ce qui adviendra également. Et, en toute logique, on ne voit même pas pourquoi cela serait autrement.
Car, dans le même temps, que fait cette « communauté internationale » quand il s’agit de coups d’Etat électoraux ; ou encore, phénomène de mode en ce moment sur le continent, quand il s’agit de coups d’Etat constitutionnels ? Lorsque au Tchad, au Gabon, au Cameroun, au Togo et ailleurs encore, les dirigeants organisent des révisions de la loi fondamentale pour s’éterniser au pouvoir, que dit la « communauté internationale », France en tête ? Que pense t-elle, des scrutins organisés dans la violence et où les résultats créditent toujours les vainqueurs de majorités très absolus, avec des pourcentages de suffrages engrangés tutoyant les 100% ? Que disent les pays de la « communauté internationale » lorsque certains régimes pratiquent encore la torture, le chantage, la prise d’otage d’Etat, le racket généralisé et font du bien être de leur peuple le cadet de leur souci ? Où est cette communauté internationale pour condamner l’analphabétisme, les coutumes rétrogrades, la famine, la prostitution et surtout la corruption dans les pays comme le Tchad et d’autres encore ?
Personne en Afrique n’est dupe ; notamment en ce qui concerne les raisons qui peuvent pousser les gens à créer une situation comme celle du Tchad en ce moment. C’est essentiellement la désespérance face à un pouvoir en place depuis longtemps, et qui charrie son monde en se projetant comme un « pouvoir à vie ».
La communauté internationale n’avait presque pas bougé, en dehors des condamnations de principe. A la suite de cet épisode, le président tchadien s’était fait (re)élire dans un scrutin émaillé d’incidents et d’irrégularités. Encore une fois, la même communauté internationale n’avait pas fait de zèle pour dénoncer, et au besoin exiger de nouvelles élections. Depuis quelques jours, la même communauté internationale déploie un trésor d’énergie pour condamner, menacer et même combattre les forces rebelles, au prétexte qu’elles n’ont pas le droit de prendre le pouvoir par les armes. Comment comprendre cette attitude de deux poids, deux mesures appliquée dans ce pays par
la France et les grandes puissances, qui avalisent un coup d’Etat constitutionnel et électoral, et condamne une tentative de coup d’état militaire ? Si l’incursion de ces jours ne réussit pas, il est à espérer qu’elle recommencera ; car, quand un peuple n’a aucune possibilité légale d’espérer le changement et l’alternance, il ne lui reste que les armes. Et dans le cas des tchadiens, et de bien d’autres africains, c’est le cas. Il y a à craindre qu’après le Kenya, le Tchad, d’autres foyers naîtront sur le continent, que la « communauté internationale » aura du mal à éteindre, si elle continue d’être si partisane et si peu inspirée.
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