Comme chaque année, c’était hier (20 mars) la Journée internationale de la Francophonie. Comme d’habitude depuis quelques années déjà, cet évènement est passé presque sous silence en France. Je dis « presque sous silence » pour ne pas dire tout simplement « sous silence », car, dans quelques milieux spécialisés (au ministère de la Coopération, dans quelques facs de lettres, dans quelques maisons d’éditions aussi), on a du se souvenir de cette journée. Mais à la télévision (toutes les grandes chaînes), dans les grands journaux et les principales chaînes de radios, il n’y a rien eu. Pas une manifestation, pas une table ronde, pas un programme spécial. France 3 nous a resservi son traditionnel « Question pour un champion spécial Francophonie », mais à part çà, rien de rien. Doit-on se plaindre, gémir ou rester stoïque de cette absence de la Journée internationale de la Francophonie au premier plan des grands médias? Quelle signification revêt cet ostracisme (c’est bien le mot)? Et plus généralement, à quoi sert la Francophonie en (ou à la) France?
J’ai déjà évoqué ces questions ici, substantiellement et dans d’autres angles. J’ai déjà dit tout « l’intérêt » mineur, pour ne pas dire minable, que portait la France à la Francophonie, sa propre création pourtant. Le manque d’informations de grande ampleur, l’absence de temps forts médiatiques importants, en cette année, viennent confirmer cette idée.
Certes, hier, le président de la République Nicolas Sarkozy a prononcé un discours traditionnel pour la circonstance. C’était à la Cité universitaire internationale à Paris. Développant un nouveau concept de « Francophonie positive », il a affirmé que « la promotion de la francophonie est de notre intérêt (…), l’intérêt du monde, pour que la diversité l’emporte sur une uniformité, parce que l’uniformité, c’est l’appauvrissement culturel et intellectuel. Personne n’a intérêt à un monde aplati » et exclusivement dominé par l’anglais, pourrait-on poursuivre à la suite du président français. Il a même demandé aussi que, les pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie (Oif) et leurs représentants « veillent à s’exprimer désormais en français (uniquement?) dans les instances internationales où le français est langue officielle ». Autrement dit, selon M. Sarkozy, il faut utiliser le français comme un argument pour faire reculer ou pour contenir l’expansion de l’anglais à l’échelle mondiale. Soit.
Mais cette affirmation d’un développement, voire d’une promotion du français pour assurer la diversité culturelle (et accessoirement, faire barrage à l’anglais) n’est-elle pas un voeu pieux et inefficace rabâché chaque année? La Francophonie n’a t-elle pas d’autre chose à promouvoir que d’être cette tête de pont de la France dans son combat linguistique et culturel contre l’anglais? Et, au fait, à qui s’adresse cette quasi-injonction à s’exprimer en français dans les instances internationales? Aux dirigeants et responsables français ou à ceux des autres pays membres de la Francophonie?
Sur cette dernière question, on dira que le propos du président français s’adresse à ses propres compatriotes. Car, on sait que certains sont épris (comme lui du reste) d’une anglophonie maladive. Ainsi du président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet s’exprimant en anglais il y a quelques années en réunion de travail, et devant les députés européens (une initiative qui fit d’ailleurs bondir de colère l’ancien président Jacques Chirac). Comme M. Trichet, d’autres encore se comportent de la même manière avec notre langue commune. (Voir à ce propos, l’excellent livre du Pr Bernard Lecherbonnier, Pourquoi veulent-ils tuer le français, Albin Michel, 2005, 248 pages). Le président de la République ne vantait-il pas lui même son amour de l’Amérique, son modèle de vie et, par ricochet, de sa langue? Comment peut-il demander après que d’autres que lui ou ses compatriotes soient des défenseurs zélés de la langue française? Il ne doit pas avoir oublié que les Etats africains francophones ont donné, donnent, et continueront de donner suffisamment de leur énergie pour porter cette langue partout, alors même qu’elle est la langue de la colonisation? Il ne doit pas non plus oublier que, malgré les difficultés et autres contradictions, ces mêmes Etats africains francophones valorisent, célèbrent et promeuvent le français et la Francophonie chaque jour avec beaucoup de forces, alors même qu’ils sont courtisés par d’autres puissances économiques et culturelles.
Si la France veut encourager ces pays, et les millions d’amoureux du français dans le monde, alors, elle devrait commencer par montrer un peu plus d’enthousiasme pour la Francophonie. Et notamment pour la seule journée qui lui est consacrée symboliquement par an, c’est-à-dire le 20 mars. Elle devra demander ou inciter les médias à être plus entreprenants et imaginatifs dans leur façon de porter cette journée. Elle devra aussi sans doute mettre plus de volonté politique et de lisibilité aussi. Sur ce dernier aspects, voici quelques pistes: un vrai ministère, plutôt qu’un secrétariat d’Etat. Un titulaire du portefeuille qui est davantage un connaisseur des réseaux culturels francophones plutôt qu’un politique nommé juste par reconnaissance de sa fidélité partisane. Débarrassé ce ministère des éléments qui feraient qu’ils soient perçus comme uniquement réservé à l’Afrique (francophone en particulier), ou alors le baptisé comme tel pour sortir de l’hypocrisie. Faire en sorte que le titulaire du portefeuille puisse y rester un bon moment et non pas dix mois comme le dernier en date), afin de mettre en place des initiatives concrètes et porteuses à moyen terme. Créer une cellule dans ce ministère qui travaillerait en étroite collaboration avec les artistes, écrivains, journalistes francophones désireux de collaborer d’une manière ou d’une autre à la mise en place de projets quelconques.
Cette liste n’est pas exhaustive, mais, appliquée même partiellement, elle apporterait un dynamisme à la Francophonie en France. Et surtout, ferait que le 20 mars ne ressemble plus à une journée anonyme, alors même que cela devrait être un jour de fête. La fête de langue française. La fête des français. La fête des francophones partout dans le monde, et en France aussi.