CESAIRE ET SENGHOR; « amis comme cochons » jusqu’au bout

« Senghor et moi, on était amis comme cochons ». C’est ce qu’affirmait Césaire dans l’interview de Jean-Michel Djian cité dans le précédent article. Amis comme cochons, ils l’étaient donc; amis comme cochons, ils le resteront certainement là haut. Je ne vais pas retracer ici l’entièreté de leur itinéraire commun; ce serait fastidieux et même sans fin. Seulement, il est important d’en souligner les grandes lignes et d’en donner quelques explications.

Rappelons que Césaire a attendu d’être dans sa 95e année pour trépasser. Exactement comme Senghor qui, à sa mort en 2001, avait le même âge. Les deux compères se sont connus à la fin des années 1920; en 1928 très exactement. Ils auront été très proches l’un de l’autre dès cet date (on peut le lire dans la même interview que j’ai citée plus haut et que je publie en annexe plus bas). Césaire affirmait dans un autre entretien que, ce n’est pas la couleur de peau qui les avait réunis. Mais, sans doute, un même idéal de vie, une même soif d’émancipation, d’élévation vers les cimes de l’intelligence, qu’ils voulaient pour eux-mêmes et pour tous les autres « nègres ».

« Missionnaires » de leur pays respectif (Césaire de la Martinique, Senghor du Sénégal), les deux jeunes hommes avaient débarqué à Paris en ces années 20 pour poursuivre leurs études. Le hasard fit que ce soit vers les Lettres que l’un et l’autre se dirigèrent. Le même hasard les fit se rencontrer dans la cour de recréation dès les premiers jours de leur scolarité, pour ne jamais plus se quitter. C’est fort de cette amitié qu’ils eurent la lucidité et la force de lancer le mouvement de la Négritude, qui restera leur grande réalisation commune.

La Négritude était leur acte de foi en la vie. Leur carte d’identité sociale et littéraire. « Nègre », ainsi avaient-ils été injuriés par un jeune blanc. « Nègres », ils en sont devenus fiers, et, de cette attaque raciale, ils en ont fait l’un des courants de pensée, voire l’un des modes de vie les plus resplendissants et les plus affirmés de l’humanité. La Négritude était, est encore aujourd’hui, et sera toujours demain la fierté d’être noir. Elle regroupe l’ensemble des valeurs des noirs. Et tant qu’il y’ aura des noirs, il y’ aura la Négritude. Autant dire dans tous les temps.

Senghor et Césaire, en plus de la littérature et des langues (anciennes et nouvelles), avaient aussi partagé la passion de la politique. Le terrain politique était à leurs yeux l’espace idéal où devait s’éclore leur vision du monde, théorisée dans la Négritude. C’est en rentrant en politique qu’ils se sont assurés une meilleure publicité pour leurs oeuvres. Et leur poésie a été aussi au service de la politique et vice versa. Césaire ne disait-il pas que « Si vous voulez comprendre ma politique, lisez ma poésie? » preuve extrême que l’une et l’autre étaient liées? Dans les faits, ils auront choisi de jouer dans les deux catégories, et aux premières places. Ils ont donc été élus tous les deux à l’assemblée nationale en 1945. Au palais Bourbon, ils se feront ardents défenseurs des colonies. Césaire, en tant que défenseur de la départementalisation des territoires d’Outre-Mer, et Senghor, pour l’autonomie des peuples colonisés d’Afrique. Chacun d’eux obtiendra satisfaction dans cette revendication principale. 

Plus tard, Senghor retournera au Sénégal occuper les plus hautes fonctions de son pays. Césaire quant à lui continuera de siéger au parlement français et deviendra maire de Fort-de-France. Chacun suivra son chemin, mais à chaque fois que ce sera possible, les deux hommes se rejoindront sur un texte ou sur une manifestation comme ce fut le cas lors du premier Festival mondial des arts nègres de Dakar en 1966, ou encore lors d’une visite de Senghor président du Sénégal en Martinique en 1976.

Leur vision littéraire était plus proche que ne fut leur vision politique. Ceci tient sans doute au contexte. Césaire est resté cantonné dans un environnement politique français, avec ce qu’il y avait encore de marginalisation et de colonialisme entre la métropole et les département d’outre-mer comme sa Martinique natale. Senghor est devenu président d’un pays indépendant, qui, même s’il est resté longtemps inféodé à son ancienne puissance coloniale, avait une marge de manoeuvre plus grande que ne l’eut Césaire. Les réalisations politiques des deux hommes sont à voir dans le domaine de l’éducation et de la culture. Ils étaient tous les deux très instruits et d’une grande culture. Le Sénégal est aujourd’hui, grâce à Senghor, l’un des « quartiers latins » du continent africain. La Martinique ne l’est pas moins dans le regroupement des Dom Tom. Au lendemain de leur vie, Césaire et Senghor ont des laissé é des générations de compatriotes et de bien d’autres  »nègres » l’amour d’être eux-mêmes, et l’amour d’être instruit et cultivé.  

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