Pourquoi sont-ils tous allés, Nicolas Sarkozy en tête, à Fort-de-France enterrer Césaire? Par amour pour le poète martiniquais? Par respect de sa carrière, de son oeuvre, de sa pensée? Peut-être. Sans doute même, puisqu’ils l’ont tous confessé, la main sur le coeur même. On va les croire.
On va aussi supputer un peu. Sur la présence du président de la République par exemple. Pourquoi est-il allé aux obsèques de Césaire, alors qu’il avait un agenda bien chargé, avec notamment une intervention télé (Tf1 et Fr2) lundi 21? Sans doute parce que, après son élection, il avait promis d’être « le président de tous les français ». A ce titre, il est déjà allé aux obsèques de plusieurs citoyens, morts pour la plupart dans l’exercice de leurs fonctions. Il a aussi honoré de sa présence les obsèques de personnes dont la carrière ou l’activité avait contribué au rayonnement du pays.
Césaire s’inscrit sans doute dans cette dernière catégorie. Et même bien au delà. Pour cela, Nicolas Sarkozy ne pouvait donc pas s’abstenir d’aller à son inhumation. En plus, au plus bas dans les sondages (le dernier en date paru aujourd’hui révèle que 79% des français sont mécontents de l’action du gouvernement), c’est certainement aussi une manière pour lui de coller à l’actualité et de se montrer le plus proche possible des français. En espérant un retour d’ascenseur de leur part dans les enquêtes d’opinion, où il espère remonter au plus vite.
L’autre raison que ne pouvait ignorer Nicolas Sarkozy en allant aux obsèques de Césaire, c’est le « précédent Senghor ». En 2001, à la mort du poète-président sénégalais, grand ami de la France, député, ministre et académicien de cette République, ni Jacques Chirac, président de la République, ni Lionel Jospin, premier minstre, ne s’était déplacé à Dakar pour rendre un hommage digne de ce nom à l’illustre disparu. Une réaction qui en avait outré plus d’une personne en Afrique et certains dans la classe intellectuelle française.
On se souvient à cette occasion de la tribune de l’académicien Erik Orsenna dans Le Monde. Il y disait tout le mal qu’il pensait des dirigeants de son pays, et sa honte d’être français. Sans doute, si Nicolas Sarkozy n’avait pas été porté Césaire en terre, d’autres comme Orsenna auraient réagi de la même manière que lui à propos de senghor.
Voici l’intégralité de la tribune d’Erik Orsenna après l’absence de Jacques Chirac et Lionel Jospin aux obsèques de Léopold Sédar senghor.
Le Monde,04.jan.02 – 13h06 – analyse – On se le disait, le répétait, sans oser y croire. Les masques sont tombés. L’affaire est entendue. La France, désormais, se moque de l’Afrique. De ses fidélités passées, de ses douleurs présentes, de l’avenir de sa jeunesse. Chacun chez soi. Le Nord avec le Nord. Les gueux du Sud entre eux. Merci la Méditerranée. La mer nous protège des appels des plus pauvres.
Un grand d’Afrique vient de mourir, son dernier » Vieux ». Un grammairien, c’est-à-dire un gourmand de règles sous le désordre du monde. Un poète, c’est-à-dire un chasseur d’échos secrets. Un démocrate, c’est-à-dire un respectueux de la dignité humaine. Un ministre du général de Gaulle en même temps qu’un militant indomptable de son pays. Un ami indéfectible de la France en ce qu’elle a d’universel : sa langue, celle de la liberté.
Quatre-vingt-quinze années d’une telle existence, ça se salue.
On se déplace, et l’on ôte son chapeau quand on porte en terre celui qui a si hautement vécu.
Eh bien non !
Nos autorités en ont décidé autrement. Qui avait ses vœux à préparer. Qui ses vacances à ne pas interrompre. On a envoyé à Dakar un Raymond, de Belfort, et un Charles, des Côtes-d’Armor. Leur valeur ni leur personne ne sont en cause, mais leur statut. Pas de président de la République française. Ni de premier ministre. La terre sur Léopold Sédar Senghor s’est refermée sans eux.
Alors j’ai honte. Honte pour eux et pour nous, Français qu’ils représentent. Honte de leur oubli et de leur petitesse. Petitesse de vision. Croient-ils une seconde vivre en paix, de plus en plus riches, dans la citadelle Euroland.
A Matignon, depuis cinq ans, décide un socialiste. Jamais, depuis des décennies, notre aide publique au développement n’a tant baissé. Malgré une manne budgétaire jamais aussi grasse.
Alors j’avoue ne plus rien comprendre. Pour moi, le socialisme – auquel j’ai adhéré dès le cœur de l’adolescence – était d’abord la défense des plus faibles. Donc du tiers-monde.
Bonne chance, messieurs, pour les élections à venir. Les masques sont tombés. La France pour vous n’est plus qu’une mutuelle. Faut-il déplacer un peuple entier pour choisir le dirigeant d’une société d’assurances ? Un voyage à Dakar vous aurait appris, notamment, l’étymologie. Que Senghor vient du portugais senhor. Un monsieur, un seigneur. Comme celui qui vient de s’en aller.
Je comprends que vous ayez craint son ombre.
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