Un Préfet noir en France: entre symbôle et non-évènement

C’est une première en France. Un originaire d’Afrique noire a été nommé préfet d’un département. Pierre NGahane, puisqu’il s’agit de lui a été nommé préfet des Alpes-de-Haute-Provence mercredi 12 Novembre en conseil des ministres. C’est un économiste et universitaire chevronné, d’origine camerounaise qui accède ainsi à une responsabilité prestigieuse. Ceci dans un contexte bien particulier. 

En effet, l’actualité internationale est largement dominée en ce moment par l’élection de Barack Obama à la présidence des USA. Cette élection, la première d’un noir dans une grande démocratie (qui plus est la première puissance du monde) a été largement commentée et décryptée. L’une des analyses justement de cette élection, c’était de démontrer qu’elle fera « bouger les lignes » dans les autres Grandes nations qui, à ce jour, n’ont pas permis l’éclosion politique d’un noir dans leur pays. En France notamment, malgré l’apport considérable de ceux qu’on appelle ici « les minorités visibles » peu ou pas de place leur est accordée sur l’échiquier politique de premier plan. 

Même si on accordera que, avec l’élection de Nicolas Sarkozy, quelques signes ont été envoyés aux enfants de
la République issus de l’immigration à travers la « promotion » des Rachida Dati et autres Rama Yade et Fadela Amara au gouvernement. Et encore que… (J’y reviendrais dans un autre commentaire),
la France est encore loin, très loin même de la promotion des ses enfants originaires d’Afrique. En effet, combien de députés à l’Assemblée nationale? Combien de sénateurs? Combien de maires de villes moyennes ou grandes (même dans les villes de banlieue qu’on dit « remplis » d’africains »)? La réponse est simple: AUCUNE. L’Amérique, pourtant profondément raciste, esclavagiste, discriminante à souhait, vient pourtant d’envoyer un Noir à
la Maison Blanche. 

Et du coup,
la France notamment se devait de réagir. C’est dans ce contexte donc qu’est apparue la nomination de Pierre Ngahane. On a beau nous expliquer qu’elle n’a pas été dictée par l’élection d’Obama, on se demande pourquoi elle n’est pas intervenue plus tôt. Qu’importe. C’est une chose de faite, une bonne chose même. Un symbole pour le pays, pour une communauté, pour une génération. C’est aussi la preuve que, dans ce pays, quand la volonté politique veut rendre palpable l’un des piliers de
la République qu’est l’Egalité, elle le peut. Et en cela, il n’y avait pas de raison qu’on ne puisse pas trouver dans le corps préfectoral un originaire d’Afrique noir, alors même que cette « communauté » représente aujourd’hui un pourcentage non négligeable de
la République. C’est désormais fait avec Ngahane. 

Mais, si cette nomination doit être saluée comme, d’une part, le résultat d’un parcours brillant (celui de M. Ngahane), et d’autre part, l’action volontariste d’un homme, (le président Sarkozy), il ne faut pas omettre de dire qu’elle reste un phénomène marginal, si ce n’est même dénué de sens. En clair, la nomination de M. Ngahane est un non-évènement. Non évènement parce que, de quelques manières que ce soit, elle ne fait manger du pain qu’à lui-même et à ses proches, et pas aux millions de noirs de France qui sont au chômage (dont certains sont bardés de diplômes). Non-évènement encore parce que, au fond, qu’est-ce qu’un préfet en France pour que sa nomination soit présentée comme une « révolution » (qui se souvient d’Aïssa Dermouche)? Non évènement enfin parce qu’elle ne procède que de la volonté d’un homme, Nicolas Sarkozy, fut-il président de
la République, plutôt que la volonté du peuple. Car, dans un pays qui a érigé le Suffrage universel comme sacré, comment comprendre que l’émergence de compétences issues de « minorités visibles » (comme c’est le cas avec Ngahane, mais avant aussi avec Dati, Yade, Amara) continuent d’être le fait du prince? Comment se faire à l’idée que la promotion des Noirs et autres Arabes et Asiatiques ne soit fondée que sur la « Logique de l’octroi » pour reprendre une expression du Pr Zaki Laïdi? Comment envisager aussi qu’à l’avenir, pas un, pas deux, mais des centaines, des milliers de français d’origine africaine se présenteront aux élections, pour le compte de grands partis de gouvernement, non plus en fin de liste ou dans des circonscriptions ingagnables? Comment imaginer, in fine, que
la France, à l’exemple des USA, se choisira un président issu de sa frange sombre (les Noirs)? 

C’est à ce moment-là, mais à ce moment-là seulement que, la nomination de M. Ngahane ou de tout autre personne du genre aura un vrai sens. Car, elle pourra être comprise que l’élément fondateur d’un vaste mouvement dont l’aboutissement sera l’élection d’un citoyen français d’origine africaine à l’Elysée. Un rêve ou un défi?  

 

 

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