Une surprise. Une vraie surprise. La semaine dernière, un ami rédacteur en chef dans un journal spécialisé (que je ne citerai pas) me demande de lui produire un article sur
la Francophonie; l’angle sur lequel il souhaite que je travaille, c’est celui du devenir, ou plus simplement, de l’avenir de la francophonie. « Quel avenir pour la francophonie? », voilà le sujet. A première impression, j’étais un peu embarrassé par la question, voire tout le sujet. Pour ceux qui consultent régulièrement ce blog depuis son lancement, ils ont du s’apercevoir que j’avais déjà planché plusieurs fois sur ce sujet. Pour ceux qui voudraient s’y reporter, ils les trouveront aux adresses suivantes:
Pour revenir à la « commande » de cet ami, j’étais donc un peu embarrassé. Car, il fallait résoudre deux écueils: ne pas paraître trop « rentre dedans » sur la francophonie et son horizon presque inexistant (ce qui est mon sentiment profond), et d’un autre côté, trouver des arguments construits et cohérents qui accréditent ou discréditent cette question. Et, pour dire vrai, ce ne fut pas facile de solutionner ces a priori. Mais au final, je lui ai pondu un texte. Il ressemblait un peu à ceci:
A l’heure où le monde se (re)prend d’amour pour l’Amérique à la faveur de l’élection à sa tête de Barack Obama, à l’heure où
la France s’engage tous les jours un peu plus dans la (re)construction de l’Europe au détriment de ses relations avec le monde francophone, à l’heure où l’Afrique francophone et anglophone s’enamoure de
la Chine, « La francophonie a-t-elle un avenir » ? La question n’est pas nouvelle, et, le moins qu’on puisse dire, est même devenue très régulière ces dernières années. Elle est présente dans les milieux intellectuels, associatifs et même institutionnels depuis plusieurs années déjà. En France comme dans d’autres pays membres. En Suisse et au Canada surtout, du fait de la place quasi-minoritaire du français, beaucoup de détracteurs de la francophonie se sont demandé ouvertement s’il ne fallait pas y renoncer, considérant qu’elle est un « vestige du passé ». La même critique s’entend aussi en Afrique, de manière moins virulente cependant, mais qui pose aussi la question de la pertinence de la francophonie dans le futur, alors que le monde globalisé de demain sera aussi « anglicisé ».
En effet, depuis plusieurs années, de nombreuses voix s’élèvent pour affirmer que «
la Francophonie est mal partie ». La prédominance de la langue anglaise sur la science, l’économie, les nouvelles technologies de l’information et de la communication n’est plus à démontrer. De plus, des sujets internes aux grand pays membres font craindre aussi pour l’essor de notre langue. On en veut pour preuve la sempiternelle question politique entre flamands et wallons en Belgique, qui a des incidences sur la langue française dans ce pays ; ou encore, l’offensive menée par les langues régionales en France, qui contestent l’hégémonie du français et qui ont obtenu, l’année dernière, d’être inscrite dans
la Constitution comme faisant partie du « patrimoine linguistique national ».
Pourtant, la francophonie se porte bien de nos jours. Sur le plan culturel, elle est une réalité bien vivante à travers le monde. On estime à plus de 175 millions le nombre de locuteurs francophones dans le monde. Ce nombre est en hausse permanente, car chaque année, de nouvelles personnes apprennent notre langue. Il y a certes ceux qui vivent dans les pays où le français est très largement utilisé (comme langue officielle ou courante). Mais, et de plus en plus, il y a aussi de nombreux apprenants dans des pays non francophones. Notamment en Afrique anglophone et lusophone, en Amérique du sud, en Asie et dans les pays d’Europe de l’est récemment entrés dans l’Union européenne. A titre d’exemples, les pays comme le Soudan (arabophone et anglophone) comptent aujourd’hui près d’un demi-million de locuteurs francophones. En Ukraine, en Lettonie et dans les pays des Balkans, on peut aussi noter une hausse exponentielle.
Tout ceci est du aux efforts conjugués des différentes sections locales de
l’Alliance française (dont la mission est la promotion de la langue et de la culture françaises à l’étranger) et, au plan académique, des initiatives de l’AUF qui accueille désormais en son sein de nombreuses universités de pays non-francophones. A cela, on peut aussi ajouter le rôle joué par les grands médias comme TV5 Monde, France 24 ou RFI, dont la diffusion s’étend dans le monde entier, et sur le plan économique, l’influence des grandes multinationales des pays-phares de la francophonie (Suisse, Canada, France).
L’arrivée de tous ces nouveaux locuteurs, favorisée pas les éléments sus-mentionnés, mais aussi par l’attractivité de
la France (son histoire, ses monuments, sa gastronomie…) montre bien la vitalité et le dynamisme de la langue française, et partant, de la francophonie. Grâce à cela, la francophonie peut se targuer d’avoir un avenir devant elle ; car la présence plus accrue de personnes qui connaissent sa langue lui assure donc une certaine viabilité.
S’il existe un secteur où les craintes sur l’avenir de la francophonie sont sans doute légitimées, c’est celui de sa vitrine institutionnelle et politique. Car dans ces derniers domaines,
la Francophonie a du mal à être audible ou plutôt à inscrire son action dans l’efficacité. Que ce soit dans son implication dans la recherche de la paix, ou dans ses prises de positions dans la résolution de certaines crises politiques qui surviennent dans certains de ces pays membres. Ainsi, les crises politiques survenues au Togo et en Guinée en sont des exemples patents.
Dominique Wolton est un grand spécialiste de Francophonie. Dans son dernier livre, Demain, la francophonie, il avance plusieurs pistes sans lesquelles la francophonie aurait un avenir compromis, il préconise la consolidation d’une francophonie politique qui irait au-delà de la forme actuelle de l’OIF. Mais ce nouvel espace ne serait pas un environnement institutionnel clos, mais plutôt un espace ouvert qui ferait la promotion d’une « francophonie vivante ». Ceci passerait par un renforcement des investissements sur le terrain culturel et universitaire. La création d’un « Erasmus francophone » par exemple serait un bon signe. Il faudrait aussi créer des outils pour permettre plus de mobilité en Francophonie; notamment en acceptant la création d’un passeport francophone pour les étudiants, chercheurs et autres scientifiques. Ces propositions rejoignent celles de l’universitaire canadien Jean-Louis Roy, auteur de l’Encyclopédie de la francophonie. Il avance que la priorité principale pour une viabilisation de la francophonie serait de lutter contre l’illettrisme en Afrique. En outre, il faut « créer un espace culturel commun à la francophonie, qui associe les pouvoirs publics, les grandes entreprises, les universitaires les associations et les ONG. Enfin, il serait aussi utile de renforcer la place du français dans les grandes institutions internationales.
Nonobstant toutes ces propositions, peut-on espérer que la viabilité de la francophonie culturelle ne se fera qu’à travers l’augmentation de ses locuteurs à travers le monde ? Est-il possible aussi de ne compter que sur l’implication de
la France ou encore de l’éradication de l’illettrisme en Afrique? Bref, ces différentes propositions peuvent-elles, à ce jour, suffire pour assurer à la francophonie un avenir doré ? C’est là tout l’enjeu du problème qui se pose à l’Organisation internationale de la francophonie. Afin que « Demain la francophonie » ne se termine plus par un point d’interrogation.