Il y a cinq (5) ans, je débarquais dans ce pays qu’est la France. 5 ans jour pour jour. Une demi-dizaine d’années. Ce jour-là, je faisais un saut dans l’inconnu. Dans le grand inconnu même je dirais. En effet, parti de ma Fac de Yaoundé I, après une licence de Lettres Modernes, je devais rejoindre celle de Marne-la-vallée pour y poursuivre mon cursus de formation en Lettres. Mais, Marne-la-vallée, dont je croyais naïvement que c’était une ville, n’était pas près de Yaoundé, ou encore de Nkongsamba chez moi (chez mes parents en fait), ou même encore de Douala où je devais embarquer. Marne-la-vallée (Malava pour les initiés) étaient loin. Très loin même. A plus de 6000 bornes de chez moi. Mais je devais y aller. Je devais rallier ce lieu où j’avais choisi et où j’avais eu l’autorisation de poursuivre mes études.
Mais Malava, c’était avant tout Paris. Et donc, dans mon esprit, aller à la fac de Malava, c’était aussi un peu aller à Paris. Or, dans mon imaginaire, comme du reste dans celui de beaucoup de jeunes africains, Paris c’est un peu tout à la fois. C’est une ville mythique, joyeuse, mais aussi lointaine (voire inaccessible), repoussante… Je n’avais pas d’appréhension particulière. Pas d’émotions superflues. Sauf quelques craintes. Crainte de la déstructuration et du déracinement: pas de famille, pas de proches, presque pas d’amis. Crainte aussi du temps: les infos glanées sur Internet et auprès de quelques personnes me disaient qu’il fait froid à ce moment de l’année (début novembre); pas trop bien sûr, mais suffisamment pour quelqu’un comme moi qui vient de la fournaise de Douala. D’autres craintes existaient, mais très passagères, et, elles étaient surtout entretenues par ma mère et mes autres parents que je devais laisser. Il faut dire que pour eux, c’était un gros déchirement. Moi, l’aîné, je m’en allais; si loin, si vite aussi. La semaine de mon départ, un malheur nous avait frappé. Ma grand-mère maternelle, avec qui nous vivions depuis 18 ans était décédée. Le mercredi 6 novembre 2002 très exactement. Pour moi c’était pénible de partir dans cette configuration. Ma grand-mère était très proche de nous. Du fait qu’elle habitait avec nous depuis tout petit, elle était devenue, non plus comme une personne âgée avec qui on entretient une distance liée à son âge ou à son lieu d’habitation, une personne proche, une soeur, une complice. Et elle s’était efforcée tout au long des années qu’elle avait passé avec nous de prendre ces nouveaux statuts: elle avait appris le français pour mieux communiquer avec nous ses petits-enfants (le patois de nos parents nous était difficile voire impossible pour mes plus jeunes frères et soeurs); elle s’était aussi baptisé et communié pour partager notre engagement chrétien. Et, à ce titre, c’est avec elle que nous allions à la messe le dimanche. Parfois même, quand nous traînions la patte, c’est elle qui nous incitait à nous dépêcher. Elle partageait beaucoup d’autres choses avec nous. Les confidences de son enfance, les anecdotes sur notre mère, qui était sa dernière fille, les histoires de…grand-mère aussi. Elle nous était trop précieuse.
Sa disparition donc ne pouvait être qu’un gros coup de chagrin. Surtout pour moi; car elle m’avait fait venir de Yaoundé où je vivais, et d’où je m’apprêtais à m’envoler pour Paris, pour rester un moment à ses côtés. Elle avait certainement senti qu’elle partirait bientôt. Elle avait donc demandé que je vienne. J’étais arrivé 5 jours avant son décès. Comme d’habitude, elle m’avait entretenu de l’avenir. Pas trop du passé, elle n’aimait pas beaucoup çà. Elle m’avait parlé de moi, de mon grand-cousin (son premier petit-fils) de mon rôle en tant qu’ainé; elle avait aussi évoqué mes futurs enfants en me disant d’être proches d’eux et de leur apprendre sa mémoire. Pendant les trois premiers jours de mon séjour à ses côtés, elle m’avait parlé chaque instant; quasiment toute la journée. Mes plus jeunes frères et soeurs allaient à l’école, mes parents au travail. J’étais donc seul à rester à la maison avec elle. Ces moments à deux étaient donc propices à nos conversations. Lesquelles lui faisaient du bien; puisqu’elle s’en donnait à coeur joie. Progressivement, sa maladie (une asthme chronique et compliqué) s’était stabilisé. Mais, juste un jour. Et puis après, çà avait empiré. Comme si, le lot de ses confidences pour moi étaient finies et, qu’il était temps pour elle de « retourner au père ». Je dis « retourner au père » car c’est une expression qu’elle affectionnait. Dans la nuit du Mardi 5 au mercredi 6 novembre donc, elle s’était éteinte. A 83 ans. Elle s’appelait SIGNE VICTORINE.
J’avais attendu un jour. Puis deux, puis trois. Je voulais attendre plus longtemps. Afin de pouvoir participer à ses obsèques. Mais, mes parents ne voulaient pas. D’autant plus que celles-ci étaient programmées deux semaines plus tard. Ils m’avaient dit, « il est temps pour toi de partir; elle n’aurait pas aimé que tu t’arrêtes de faire ce que tu as à faire juste pour attendre qu’on l’inhume ». Je m’étais opposé à cette lecture. Meurtri de douleur, en colère qu’on puisse ne pas vouloir que je lui rende l’hommage qu’elle méritait. Mais les remarques de plus en plus nombreuses de mes parents et d’autres proches qui comptent avaient fini par me faire accepter l’idée de partir sans attendre son enterrement.
C’est ainsi que j’ai pris ma petite valise, avec quelques effets à l’intérieur, et surtout, un jujube (ce « fruit » porte-bonheur qu’il y a chez nous en pays Bamiléké) qu’elle m’avait donné juste avant sa mort. Je l’avais rangé bien dans mes effets. J’étais parti à Douala avec mes parents, tôt le matin, pour embarquer à 11H. Le vol fut une épreuve. Car à ce contexte douloureux et lourd que je viens de décrire, s’ajoutait celui qui m’attendait dans mon nouveau pays hôte. Où allais-je atterrir, où allais-je descendre? Qui allait venir me chercher, pour me conduire où? Quand j’embarquais, je n’avais aucune indication, aucune réponse à ces questions. Je savais que j’allais à Paris, puis à la fac de Malava. Mais je ne savais rien d’autre. Il est vrai que, manquant de relais sociaux (pas de famille, ni amis) à Paris, je ne pouvais pas compter sur quiconque.
C’est donc dans la plus grande confusion que j’atterris ce samedi 9 novembre 2002 à 18 h à Roissy. Moins qu’aux tracasseries des vérifications de la police aux frontières, c’est surtout au froid et à l’incertitude des modalités d’installation que j’avais été le plus confronté. J’étais sorti de la zone de contrôle, avec ma valise, mon petit sac contenant mes documents. Je n’avais regardé personne, puisque je savais que personne ne m’attendait. Autour de moi, des gens se saluaient chaleureusement, contents d’avoir rejoint qui un frère, un parent ou qui d’autre des amis. Moi, je m’étais retrouvé avec moi-même. J’avais « erré » quelques minutes là, à ne pas savoir quoi faire, ni où aller. J’avais retourné ma vie, mes projets et tout le reste dans mon esprit cent fois, et je n’avais pas trouvé de solutions aux problèmes immédiats qui se posaient à moi. Mais je n’avais pas paniqué, encore une fois parce que je ne m’attendais à rien d’autre. Seul le temps, frais, commençait à entamer mon « héroïsme ». Et surtout, plus le temps avançait, plus les gens avec qui j’avais voyagé disparaissaient. 2 h plus tard, j’étais encore là; et je ne reconnaissais plus personne de mon vol. Sans toujours avoir de solution à mon lieu d’installation sur ce jour-là au moins.
Me voyant tourner en rond, une dame noire m’avait accosté; elle m’avait demandé si j’attendais quelqu’un. Je lui avait dis « non ». Elle m’avait alors conseillé de rappeler chez moi au Cameroun et de leur dire que j’étais bien arrivé. Elle m’avait indiqué où je pouvais acheter une carte téléphonique, et comment m’en servir. Ensuite elle s’était éclipsée en me laissant son numéro de téléphone. Je l’avais remercié mille fois. J’avais suivi son conseil. Mais, plutôt que mes parents, j’avais appelé un proche de la famille, prêtre, qui m’avait aidé à trouver mon inscription, et qui venait de séjourner 4 ans à Paris. C’est d’ailleurs lui qui avait payé mon billet d’avion. Je l’avais eu presque vers 22h. Il m’avait demandé ce qui n’allait pas. et je lui avais expliqué que j’étais encore à Roissy, sans savoir où je pouvais passer la nuit. C’est alors qu’il m’avait communiqué les coordonnées d’une famille amie à lui. Il les avait appelé dans la foulée et leur avait expliqué la situation. Ensuite je l’avais rappelé et il m’avait dit de les appeler. Ce que j’avais fait. Cette famille (la famille Njomo), résidant à Colombes dans le 92 m’avait donc indiqué comment faire pour arriver jusqu’à leur domicile. « Prends tel train, puis fait la correspondance, puis tel train encore; direction ceci ou cela, ensuite le bus, direction tel, comptes les arrêts…. » Voilà à peu près la teneur du message que M. Njomo m’avait donné ce soir-là. Bien entendu pour moi c’était difficile. Je ne savais même pas ce qu’était un RER, ou encore un métro ou une direction machin-chouette. Mais, l’instinct de survie me guidait. Je pris mon courage à deux mains et je m’engageai sur le chemin. Au bout de 2 h (il était presque minuit) après moult tracasseries, j’arrivais donc en gare de La Défense, où le neveu de mon hôte d’un soir vint me récupérer. Un quart d’heure plus tard nous arrivions à leur domicile. Je poussai un grand souffle. Regardant devant moi, non pas derrière. En essayant d’oublier très vite cette journée particulière. Aujourd’hui, Cinq (5) ans ont passé.