Blanc/Noir : La réponse de Fanon

31 octobre 2008

Je reviens à ce blog après quelques jours « d’hibernation » disons. Surtout après les Chroniques de mes vacances que je vous ai proposées. Je mettrai un peu plus d’ardeur à être présent ici, et, à refaire de ce blog, la tribune qu’il était. 

Il y a quelques semaines, je me suis mis en tête de mieux connaître Frantz Fanon. Et pour y parvenir, mieux que des notes biographiques et des textes adjacents, empruntant à sa pensée, j’ai choisi de lire certains de ses ouvrages. Je viens de terminer Peau noire, masque blancs, paru en 1952. Quel régal! Un véritable chef-d’œuvre que je vous recommande vivement. Vous ne serez pas déçu de prendre un peu de votre temps pour le lire. 

De quoi parle t-il? De nombreux sujets. Et comme son titre l’indique, de Blancs et de Noirs; de « races » donc (même si, le politiquement correct d’aujourd’hui « interdit » de considérer que « blanc » « noir » sont des races, je me mets dans la peau de Fanon, qui, en 1952, ne devait pas avoir affaire à ce genres de considérations). Peau noire, masque blanc est un essai qui  a marqué l’histoire des réflexions sur la colonisation en générale, et celle effectuée par
la France en Afrique en particulier. Fanon y analyse le colonialisme sous plusieurs angles: sociologique, philosophique, psychologique et même psychanalytique (on notera qu’il était Médecin psychiatre de formation). 

Ici, l’auteur se place dans la peau du colonisé, du « noir » pour reprendre la distinction de camp qu’il fait dans son titre. Il s’identifie à ce point de vue. Car il en est l’un des membres. Et même si son statut de médecin lui confère une place de privilégiée, Fanon rentre dans les profondeurs des misères des colonisés pour, dans cet ouvrage, restituer un témoignage authentique et inoubliable. je ne rentrerais pas dans les détails des thèmes abordés, car, comme je l’ai dit plus haut, seule la lecture de ce chef d’œuvre vous permettra d’arriver, je n’en doute pas, aux mêmes conclusions que moi. 

L’ouvrage s’ouvre sur une citation de Césaire, extraite du Discours sur la colonisation : « Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. » Je dirai d’ailleurs que, pour mieux cerner le livre de Fanon, il faut lire également celui de Césaire. Le livre a 5 grandes parties. Dans les 3 premiers chapitres, il parle du Noir moderne. Il scrute ses attitudes, vis-à-vis du blanc, de la femme blanche, des ses frères noirs aussi. Comment existe le nègre? Par quoi? Pour quoi? Que vaut-il au milieu des autres? Ce sont là quelques-unes des questions soulevées par l’auteur dans ces premiers chapitres. Dans les autres, il poursuit dans cette voie. 

Au final, le livre montre que, à cause de la colonisation, le noir est un esclave du mythe nègre, spontané, cosmique, sent à un moment donné que sa race ne le comprend plus, et que, lui non plus ne la comprend plus. C’est l’un des effets de la colonisation que Fanon a voulu dénoncer dans ce livre et, bien plus, dans Les damnés de la terre, son autre livre phare.  

 

 

Chroniques : La fin

22 octobre 2008

Voici venu la fin du récit de mes carnets de voyage. Ils ont pris autant de temps que le séjour lui-même (3 semaines). J’en suis fort désolé. J’aurai aimé être un peu plus rapide et prompt dans cette narration, mais comme je vous l’ai indiqué dans le précédent, d’autres projets m’accaparaient aux moments à consacrer à ce Blog. Nonobstant cela, je parviens quand même à la fin de l’objectif que je m’étais fixé, celui de donner le plus grand nombre d’information sur ce séjour. Certes, il y a d’autres sujets, d’autres aspects aussi que j’aurai aimé abordés. Mais comme on dit trivialement, « on ne peut pas parler de tout » dans ce genre de situation. Je reste néanmoins disposé, si vous m’en faites la demande, à revenir sur un détail, ou à apporter une précision, ou même encore à aborder un sujet oublié dans un avenir proche. N’hésitez donc pas à formuler votre demande dès que possible. En outre, vos autres commentaires seront également pris avec beaucoup d’intérêt, et comme toujours, publiés au bas de l’article concerné. Merci. 

 

Chroniques…10

22 octobre 2008

 

En entrant dans le dernier week-end de mon séjour (celui du 20 au 21 septembre), je pensais déjà au retour. Epuisé par des déplacements à répétition. Bousculé aussi par un mini-accident de la circulation, sur l’une de ces routes que je décrivais dans Chroniques… Heureusement, plus de peur que de mal; en dehors d’un léger choc frontal avec le pare-brise avant de ce véhicule de transport, je n’avais rien eu d’autre. Seul le chauffeur de cette petite voiture, qui s’était assoupi au volant, s’en tira avec une légère blessure au coude gauche. C’était le vendredi 19, sur la route de Mbouda, une ville en plein cœur du pays Bamiléké, dans l’ouest Cameroun. 

D’autres frayeurs rythmèrent mon séjour. Elles tenaient plus de situations globales que des moments précis et pratiques. Par exemple, la situation des soins sanitaires dans les hôpitaux. Ou encore, la question du travail chez les jeunes. Sans oublier la sécurité ou l’insécurité (c’est selon), la pollution, les problèmes des enfants (malnutrition, éducation…). Je ne prendrai pas le temps de développer tous ces points. Ce serait interminable. Il importe de dire néanmoins que, sur ces différents sujets, beaucoup de choses doivent être faites. Et pas seulement au plan pratique, mais aussi et surtout, bien en amont. Comme par exemple sur l’insécurité: elle atteint des niveaux records au Cameroun. Violentes, gratuites, les agressions des personnes (jeunes comme vieux) se multiplient au quotidien. Elles sont, dans la majorité des cas, perpétrées par des jeunes, garçons surtout. Mais, de plus en plus, les filles ne sont pas en reste, alors qu’il y a quelques années encore, elles n’en faisaient pas partie.  

Comment arriver à aborder cette question pour, à défaut de la faire finir, la résorber au moins? Comment s’attaquer dès la base à tous ces enfants qui, dès leur jeune âge, pensent à détrousser ou agresser les gens dans la rue ou dans leur domicile? Comment faire pour éradiquer, sans la violence inouïe, le phénomène des « coupeurs de route » qui gangrène le pays? La principale réponse à tout ceci réside sans doute dans l’éducation et le travail. Les nombreux chômeurs qui peuplent les grandes, moyennes et petites villes du pays seront, sans aucun doute, moins tenté d’aller voler ou agresser, s’ils étaient actifs et gagnaient, même minimalement leur vie. Car, le travail est le meilleur moyen pour redresser les gens. Voltaire le prédisait dans son « le travail éloigne de nous trois grands maux: l’ennui, le vice et le besoin ». Si ces jeunes camerounais sont employés, l’insécurité baissera dans le pays. 

Quant à la situation sanitaire, elle est tout aussi désespérante. En plus, dans certains cas, de la vétusté du matériel et des autres problèmes d’infrastructures et d’équipements, le coût des soins est quelque chose qui, de plus en plus, n’est plus à la portée du camerounais moyen. Pour aller à l’hôpital, il faut payer un ticket d’entrée. Pour se faire soigner, il faut payer des frais de consultation et de premiers soins parfois très élevés. Du coup, ceux qui n’ont pas les moyens, sauf en cas extrêmes, ne partent pas à l’hôpital. Mais plutôt au « poteau » sorte de pharmacie en pleine rue où, quelques marchands de sommeil vendent des produits dangereux sans aucune formation, ni précaution. 

Le dernier aspect auquel j’ai pensé parler c’est Dieu et
la Religion. L’Eglise (catholique j’entends) est une institution sociale, bien établie et bien ancrée dans les différents lieux. Mais, de plus en plus, les gens y vont par reflexe pavlovien. Sans discernement, sans souci de se demander le sens de leur adhésion. Ce n’est pas un reproche, mais une simple remarque. La dévotion des gens pour les cultes, et les mouvements cultuels est même parfois suspecte. Certains remplissent leur agenda hebdomadaire de toutes sortes de réunions et autres activités à l’Eglise: Chorale, mouvement charismatique, légion de Marie… Cette adhésion au religieux est sans doute voulue aussi par l’étrange impression d’abandon et de souffrance permanente qu’ont les gens, et dont ils pensent, à tort ou à raison, qu’ils n’en seront soulagés que par Dieu. D’où l’expression très en vogue là-bas qui résume tout sur ce sujet: « C’est Dieu qui nous protège ou qui nous sauve ». Je ne la commenterai pas. 

De tous ces problèmes que je viens de souligner, j’avais une vague idée. Je les ai touchés, endurés, vécus durant ces trois jours. J’ai imaginé la difficulté, la galère même de ceux qui la vivent tous les jours, sans rechigner, sans protester, sans espérer quoique ce soit d’autres. Et à côté de tout çà, de cette misère à ciel ouvert, quelques « bénis » ont décidé de vivre, avec l’argent de l’Etat, dans une opulence exacerbée. Je n’aime pas réfléchir en opposant les gens entre eux, riches contre pauvres, puissants contre petites gens. Mais là, je n’ai pu m’empêcher de dire il y a dans ce pays « Deux mondes, deux destins ». Le célèbre écrivain Mongo Béti qui le disait dans les années 50, et qui espéraient que cette situation s’achèverait vite, doit se retourner dans sa tombe aujourd’hui en constatant qu’en 2008, le Cameroun vive encore avec un « Tanga nord » et un « Tanga sud », soit Deux mondes et Deux destins donc. Faut-il espérer que dans un avenir proche cette séparation disparaisse pour laisser une nation unie et homogène dans la prise en charge de ces citoyens et l’accès de ceux-ci aux ressources du pays? C’est un espoir, juste un espoir. 

 

Chroniques…9

18 octobre 2008

Je Suis Jeune Donc Je Bois 

Encore 2 textes pour conclure ces Chroniques. J’ai pris un peu de temps entre la dernière écrite (la 8e) et celle-ci. Des occupations me mobilisaient ailleurs. Mais dans l’intervalle, j’ai eu quelques retours sur certains des premiers textes publiés. Pour la plupart, ils émanaient de personnes qui lisent habituellement ce blog. Mais, d’autres plus inattendus me sont aussi arrivés; qui venaient de gens qui ont découvert le blog par hasard. Aux uns et aux autres, je les incite à continuer à m’envoyer leurs commentaires que je publierai après modération. Pour ces deux dernières Chroniques, je serai dans une tonalité plus analytique. Car certains m’ont reproché d’être trop descriptif dans les autres textes. Message bien reçu. Voici donc une analyse sur un sujet auquel j’ai été confronté durant ce séjour en terre natale. 

Comment s’exprimer, quand on est jeune, dans un pays où la liberté de parole est restreinte? Comment vivre quand, toujours jeune, on est sans revenus, car pas de boulot, pas de job non plus? Comment se projeter dans la vie, envisager un avenir meilleur, quand tout semble (très) compliqué à obtenir, si ce n’est impossible? Comment, enfin, au quotidien, quand on est jeune, vivre alors que la démoralisation et la démobilisation sont les compagnes régulières? 

Voilà quelques questions que je suis posé après plusieurs jours de séjour durant ces vacances. Notamment quand j’allais dans mes anciens établissements comme l’université de Yaoundé I. Ici, j’ai rencontré plusieurs amis et camarades. Certains sont encore sur la fac pour, qui une thèse, qui d’autre exerçant une fonction para universitaire dans les abords du Campus. Tous ces amis, et beaucoup d’autres jeunes comme eux, m’ont paru vivre, pour beaucoup, dans une espèce de spleen, de démobilisation, de découragement total. 

certains vivent l’esprit tourné vers un ailleurs qui est très loin et qu’ils n’atteindront quasiment jamais; d’autres aspirent à devenir de grands commis de l’Etat national, pour, pensent-ils, devenir des rentiers et autres nouveaux riches. D’autres encore ne se soucient ni de l’une, ni de l’autre de ces deux premières options citées. Ils vivent au jour le jour. Sans calcul, sans prévision, sans ambition même, ni pour eux, ni pour le pays, ni pour personne. Ils ont choisi une autre voie: vivre pour vivre, vivre pour jouir, vivre pour se repaire, vivre pour croquer, tels des épicuriens, tous les plaisirs les plus près d’eux. 

Au premier rang de ceux-ci, la boisson. En règle générale, les jeunes camerounais boivent beaucoup. Mes amis ne sont pas en reste, et j’ai pu le vérifier là-bas. « C’est pour tuer l’ennui et noyer nos soucis », se justifient-ils souvent. D’autres vont plus loin et confessent leur amour pour ce qu’ils appellent les « molécules de la joie ». Quand ils boivent, c’est de la bière. Ils en consomment régulièrement de bonne quantité par jour. Or, la bière au Cameroun coûte cher, 500 FCFA (environ 0,80 euro). Comment font-ils pour en être accros alors même qu’ils sont sans le sou? Je n’ai pas eu de réponses à cette question. Mais, il ne faut pas être sorcier pour savoir qu’ils investissent les maigres revenus qu’ils peuvent avoir au quotidien dans leur bouteille de bière. Quand ils ont la chance de rencontrer quelqu’un qui peut leur en offrir une autre, c’est avec joie et enthousiasme qu’ils la prennent. Le « Must » serait bien entendu qu’un généreux donateur leur offre une tournée. J’en ai fait l’expérience. 

A terme, quelles peuvent être les répercussions d’une telle conduite sur ces jeunes? J’ai appris que, dans les lycées et collèges des grandes villes, des plus jeunes encore (adolescents) s’adonnaient également aux séances de beuveries régulières aux abords de leur établissement ou ailleurs dans des gargotes; que vont-ils devenir? De joyeux ivrognes? Ou d’alcolos anonymes? Que va être l’incidence de cette conduite sur le développement du pays qui attend autre chose de ces jeunes que leurs prouesses éthyliques? Par quels moyens le gouvernement camerounais va t-il faire pour sortir ces jeunes de la descente aux enfers dans laquelle ils s’enfoncent progressivement par cette addiction à l’alcool? 

Je ne sais pas ce que feront les autorités locales. Je sais tout simplement que, si rien n’est fait, plus que la « fuite des cerveaux », l’alcoolisme sera demain l’un des véritables cancers de notre pays. Un mal encore plus violent qu’il frappera et prospèrera à l’intérieur du pays même. Et contre lequel, on ne pourra rien. Si ce n’est constater les dégâts immenses qu’elle aura créés.  

 

 

Chroniques…8

14 octobre 2008

LA ROUTE NE TUE PAS?

Se déplacer au Cameroun est une épreuve. Le pays est sans routes fiables. Aucune autoroute par exemple pour relier les deux grandes villes (Douala et Yaoundé), pourtant distantes de seulement 250 km. Une route existe, qu’on appelle là-bas « axe lourd » qui permet de voir circuler à peine 3 voitures côte à côte. Ailleurs dans le pays, la situation n’est guère meilleure. Les routes sont toutes aussi étroites. Et si elles n’étaient qu’étroites, cela ne poserait qu’un problème mineur. Elles sont aussi en très mauvais état, avec des nids de poule et autres trous en tous genres sur la chaussée. Bien plus, les abords sont souvent encombrés d’herbes ayant atteint une taille impressionnante, et, à des virages, masquant la vue aux automobilistes. La liste des problèmes de nos voies de circulation est longue qu’on ne pourrait toutes les énumérer ici. 

Mon intention n’est pas seulement de décrire ses routes. C’est surtout de dire les conséquences qu’elles produisent au quotidien sur la vie des camerounais. En effet, l’état des routes est responsable à 30% au moins des graves accidents qui se produisent quasi quotidiennement dans ce pays. Car, comment ne pas envisager qu’une route présentant les caractéristiques suivantes: 4 à 5 m de largeur, circulation à double sens, absence de terre-plein central, virages tous les 100 à 200m, absence de protection de la chaussée par des glissières de sécurité, quasi absence de trottoirs tracés permettant la circulation des piétons… ne soit pas propice à des accidents réguliers (collision, sortie de routes, renversement de piétons)? 

On ne compte plus le nombre de morts survenus sur ces routes. Des dizaines, voire de centaines de personnes y périssent tous les mois. Victimes des ces routes. Mais aussi, victimes de la folie des chauffeurs. Ces derniers, malades de vitesse, sont dans la majorité des cas responsables à plus de 50% des drames routiers cités plus haut. Car, tous veulent aller vite. Le code de la route est un gros mot pour eux. Le respect des priorités n’existe pas. Ils n’ont pas également le bon sens nécessaire à l’appréciation de certaines situations. Ils abhorrent une chose: rouler au pas. Tout le monde veut dépasser, sur ligne droite, au virage, sur les collines, bref partout. 

La conjonction des routes défectueuses et des « chauffards » produit donc des catastrophes régulières sur les routes camerounaises. Lors de mon séjour, pas moins de 4 accidents sérieux se sont produits sur des itinéraires déterminés, au moment où j’y passais. Comme cet accident entre Edéa et Douala qui a décimé un groupe de 10 commerçants qui se rendaient à Douala pour livrer leurs marchandises. Ou comme cet autre à Melong, non loin de Nkongsamba, où un car Hiace est entré en collision avec un camion arrêté en passe, faisant plus de 8 morts dont un enfant de 2 ans, décapité. 

Que font les autorités pour prévenir ou éviter ce genre de situation? Tout le monde se pose la question. A ce jour, pas grand chose. Une initiative pour le moins baroque avait cours quand j’y étais: c’était d’organiser sur les grands axes routiers une campagne de sensibilisation appelé « Prévention routière ». Mais celle-ci n’a aucun effet, car les préposés à cette mission se transformaient en agents de racket, comme le sont déjà les agents de forces de l’ordre qui doivent veiller à la circulation urbaine et interurbaine. D’autre part, des mannequins représentants un individu ont été installé à certains endroits des grandes routes, suivis du nombre de personnes décédés non loin de là il y a peu. « Ici, 10 morts », « ici, 23 morts ». Parfois, sur un trajet de 100 km, comptabiliser tous ces panneaux donne le vertige. Rien qu’à penser au nombre total de personnes mortes en si peu de temps, en si peu de distance… 

« La route ne tue pas, mais c’est nous qui tuons… », chantait un artiste camerounais dans les années 90. Il devrait réviser son jugement. Car aujourd’hui, les routes camerounaises sont bel et bien des sentiers pour la mort.  

 

 

Chroniques…7

11 octobre 2008

Signé « Vi » 

J’ouvre une parenthèse dans le récit linéaire de mes vacances pour parler d’une histoire particulière qui a rythmé cette période. C’est une correspondance épistolaire avec une personne avec qui j’ai échangé des courriers électroniques pendant tous les jours (ou presque) de ces vacances. Des messages professionnels et personnels. Basée dans le 77 (mon département de résidence en France), elle m’informait du temps et de l’ambiance dans la région en mon absence. Nos activités professionnelles étant les mêmes, et vu qu’elle bossait pendant que moi j’étais en vacances, elle me tenait aussi au courant des journées de travail et de leur contenu. Elle signait tous ses courriers à peu près de la manière suivante: 

« Bonnes vacances, 

Bisous, 

Vi ». 

Sans entrer dans les détails profonds de ces échanges, il est important de noter qu’ils m’ont été d’un très grand soutien et réconfort. Quand on est loin, on a besoin d’avoir des nouvelles du lieu qu’on a quitté. Et, quand quelqu’un s’investit pour apporter ces informations au quotidien, quoi de plus normal que de dire Merci. Bien plus, si la personne fait preuve de compréhension, d’écoute, de curiosité et de sollicitude dans ces échanges, alors on ne peut qu’être satisfait. 

Dopé à l’Internet quand je suis en France, j’avais besoin de conserver mes petites habitudes chez moi au Cameroun. Ainsi, quelque soit la ville dans laquelle je me trouvais, je faisais l’effort de chercher un cybercafé pour surfer quelques minutes. Notamment pour dépouiller mon courrier, vérifier qu’il n’y a rien d’urgent, consulter quelques annonces, parcourir un peu l’information française sur les sites des principaux journaux, et bien entendu donner des informations sur mon séjour aux proches restés en Europe. 

Sur ce dernier point, je devais donc rassurer ceux qui s’inquiétaient pour mon fils, mes parents et moi. Leur dire ce que nous faisions au quotidien; leur raconter les menus détails de nos déplacements, de nos rencontres de nos réalisations là-bas. Mais aussi et surtout, rassurer sur notre état de santé, et celle de nos proches. 

De tout cela, Vi me le demanda chaque fois qu’elle écrivait. Par curiosité? Ou pour d’autres raisons? Difficile à dire. Nos échanges furent courtois, francs et plein d’enthousiasme. Normal. Quand on partage la passion d’écrire, de communiquer, de jouer… Normal aussi quand, réciproquement, chacun cherche à apprendre de l’autre, sur la région, sur le pays, sur les gens… 

A mon retour de vacances, l’échange s’est arrêté. Normal, c’était un échange de vacances. Un échange d’absence; le genre de situation qui n’est commandée que par le fait que, votre interlocuteur est loin; donc mystérieux, donc intéressant aussi. Ne dit-on pas que la distance sublime? Qu’elle affole? Qu’elle étourdit même? Et pourtant, venu le rapprochement (mon retour de vacances), et la fin de la distance (l’éloignement), cet intérêt à l’échange, cet attrait de la discussion et tout le charme qui va avec, ont disparu. Pour (re)laisser place à l’indifférence des rapports habituels du quotidien. Logique? Certainement que non. Mais normal; c’est la vie. 

L’avantage de tenir ce genre de rapport, c’est d’être à certains moments, porté par une certaine sublimation, une adrénaline de la joie, de l’enthousiasme, du désir, de l’aventure, de la vie in fine. Mais il paraît que ce n’est qu’une illusion. Un doux rêve qu’il faut vite oublier une fois le tarmac de l’aéroport de la réalité (re)touché. Message entendu. 

Merci « Vi » pour cette illusion. 

PS: demain, le chapitre 8 des Chroniques abordera le résumé de ma première semaine de séjour au pays, el l’angoisse permanente qu’il y a à être sur les routes.  

 

 

Chroniques…6

10 octobre 2008

PRECISION: Suite à l’article Chroniques 4, j’ai reçu le commentaire suivant de M. Raoul Gabriel Nkuissi, promoteur de l’Ismam, unique établissement d’enseignement supérieur de la ville de Nkongsamba au Cameroun. Il faut dire que dans ce texte où je décrivais cette ville telle qu’elle est aujourd’hui (une « ville morte »), je précisais que cet établissement est sans doute la seule chose positive qui ait été créée depuis bien longtemps. Né en 2006, l’Ismam a entamé cette année sa troisième rentrée académique. Nous luis souhaitons plusieurs autres rentrées, et de nombreuses réussites. Voici ledit commentaire

Eh bien Cher Aubin
C’est la triste réalité de notre Nkongsamba. Tu l’as si bien decrite. Maintenant, assez pleuré. Laissons la nostalgie derrière nous. Faisons quelque chose. Tu as parlé de ISMAM. J’en suis le promoteur. Que chacun des enfants, que tous les enfants de Nkongsamba partant de cet amour indescriptible pour la ville agissent, chacun avec son projet, ses moyens, son coeur. Nkongsamba renaîtra. Mais agissons

Fraternellement

Chroniques…5

9 octobre 2008

DES HOMMES ET DES MOTOS 

John Steinbeck me pardonnera. Il avait écrit Des souris et des hommes (1937), magnifique roman sur les relations humaines. Je lui emprunte son titre, pas intégralement, mais dans sa structure et sa composition. 

Car, pour titrer cette autre Chronique, rien de plus intéressant que de jouer sur les mots et les positionnements comme c’est le cas avec « Des hommes et des motos ». Et si je l’ai fait, c’est aussi parce que, le Cameroun est devenu un pays de la moto-roi. Des motos partout. Dans les villes, les villages, les quartiers. Des motos par centaines, milliers. Des motos et des Hommes dessus. Des motos en mouvement; toujours. Elles se faufilent, vrombissent, se déploient tel des fourmis magnans ou de la mauvaise herbe dans un jardin. De fabrication chinoise, elles sont toutes siglées « Moto Nanfang ». Je n’ai pas cherché l’explication, mais on m’a dit que c’était des motos chinoises. 

Il y en a partout. Des motos pour tous. Accessible à tous. Dessus, pour les conduire, des jeunes hommes à peine matures et conscients. Derrière eux, des personnes de tous les sexes, tous les âges, toutes conditions sociales, toutes tenues vestimentaires (aussi bien les costards-cravates, que les jeans-jeans, ou les treillis). Les mototaximen se prennent au quotidien pour des as de la vitesse et du faufilage. Ils ne reculent devant aucune difficulté; ni les véhicules plus grands (surtout les camions qui sont souvent sans freins), ni l’état des routes. Pour eux, un seul objectif: transporter le plus grand nombre de « clients » dans la journée, pour avoir une recette considérable le soir. Pour cela, il faut aller vite, très vite même, au risque de se faire écraser avec son ou ses clients. Pour y parvenir aussi, tous les moyens de gruger sont bons: surtaxe du prix du trajet, arrêt du moteur sur les pentes pour économiser le carburant (les taxis-brousses aussi le font) et surtout, transport de deux « clients » sur l’engin. 

Si j’avais eu le choix, je n’aurai jamais emprunté ces motos pour un trajet lors de mon séjour. mais, parfois, en l’absence d’autres moyens, ou pour gagner un peu de temps, ou encore pour aller à une destination précise (loin de la route bitumée), je n’avais pas d’autres choix que de monter sur une moto. Non sans mal je l’avoue. Car, à chaque instant, je pensais y jouer ma vie (d’ailleurs il y a pas que sur les motos que ce sentiment d’insécurité sur la route règne quand on est au Cameroun; en voiture aussi, et même à pied, c’est pareil. Au quotidien, les nouvelles d’un accident de circulation impliquant une moto sont nombreuses. Pas une semaine ne se passe d’ailleurs sans que, à Douala ou à Yaoundé, ou même dans une autre petite bourgade du pays, un mototaximan ne finisse sous les roues d’une voiture, ou d’un camion. 

Et pourtant, malgré ces dangers, les camerounais dans leur ensemble plébiscitent désormais la moto comme moyen de transport en commun le plus sollicité. Loin devant les bus de
la Socatur et même des taxis. Ce n’est que normal d’ailleurs. Car, les vrais propriétaires de ces motos sont des entreprises chinoises qui ont décidé de lancer une offensive de charme sur l’économie locale. La moto n’est que l’un des « éclaireurs » de cette ambition. Au grand bénéfice et/ou risque des camerounais. 

 

 

Chroniques…4

8 octobre 2008

UN JOUR DANS MA VILLE 

Nkongsamba, ma ville. Une « ville morte » donc tel que je l’ai décrit dans
la Chronique précédente. J’y suis resté 70% du temps de mon séjour de vacances. Que faisais-je dans cette « ville morte »? Je me pose moi-même la question. Des amis me l’ont demandé également. En fait, je pense qu’un attachement indescriptible me lie à cette ville. Comme un amour passionnel. La passion d’un homme à sa terre nourricière, au lieu de ses 400 premiers coups, au territoire où une partie de son histoire s’est écrite. Bref, Nkongsamba et moi, c’est une histoire d’amour forte. 

Raison pour laquelle, durant ce séjour, je ne pouvais ne pas y rester le plus de temps possible. Ainsi, je me suis baladé dans les coins et recoins de la ville, à la rencontre de vieux amis, de proches ou d’autres personnes. J’ai été faire du sport avec des amis. Je suis allé au champ avec mes frères. Mais je suis aussi allé dans mes anciens établissements. Au foyer des jeunes aspirants de la Congrégation des prêtres du Sacré-Cœur, où j’ai revu un pote de promotion qui est aujourd’hui prêtre, curé du Sanctuaire. 

Je suis passé au Lycée du Manengouba, où j’ai obtenu le Bac. Mais c’est au Collège Jeanne d’Arc, établissement où je suis passé de 1994 à 1996 que j’ai passé plus de temps. Certains de mes amis du collège, avec qui nous sommes allés à la fac de Yaoundé, sont désormais enseignants là-bas. Ils disent faire de leur mieux pour dispenser le savoir aux jeunes élèves. Leur grande difficulté ce sont les salaires. « Trop maigres, pas réguliers ». Certains voudraient aussi pouvoir bénéficier des conditions de travail plus modernes, c’est à dire avoir un ordinateur dans chaque classe, avec une connexion Internet. Un doux rêve en somme, que ne peut s’offrir le collège, ni d’autres établissements de ce type d’ailleurs. 

Dans la ville, seul l’Ismam est équipé d’une grande salle multimédia, qui tient lieu de cybercafé également. C’est le lieu de rendez-vous de plusieurs profs et élèves des collèges environnants, mais aussi de tous ceux qui veulent avoir accès à Internet pour un quelconque service. Pour consulter mes mails, c’est donc au cyber de l’Ismam que je venais régulièrement. Le temps semble s’être arrêté à Nkongsamba. Ceux qui vivent dans la ville, n’ont pas ce sentiment. Car pour eux, les choses ont toujours été comme çà. Pour moi qui suis allé ailleurs, revenir voir la ville dans un tel état a été une épreuve difficile. Et ce n’est pas la seule épreuve pénible de mon séjour. La prolifération des mototaxis dans toutes les villes du pays en est une autre. J’en parlerai demain.   

 

 

Chroniques…3

8 octobre 2008

RENCONTRE AVEC UNE « VILLE MORTE »  

Un réveil difficile. C’est ainsi que je me suis levé de ma première nuit de sommeil à Nkongsamba, au lendemain de mon arrivée en vacances au Cameroun. La nuit a été courte, froide, et pleine de petits bruits (celui des poussins du poulailler du voisin). Qu’importe, j’ai pu fermer l’œil et me reposer de la journée marathon que je venais de passer, entre mon réveil dans ma petite ville de Banlieue parisienne, le voyage, l’arrivée à Douala, le (re)voyage jusqu’à Nkongsamba… Cette nuit me permis, outre cela, d’évaluer le parcours déjà accompli et de planifier mon programme dudit séjour. 

D’emblée, je savais qu’il y aurait beaucoup de déplacements. Naturellement, quand on revient chez soi 6 ans après, il y a un bon nombre de personnes qui veut me (re)voir. Et Moi aussi. Il fallait donc se soumettre à ce rituel. Aller saluer un tel tonton, une telle tata, un tel ami ou cousin et patati… Mais ces déplacements étaient pour plus tard. Il fallait d’abord reprendre pied avec ma ville. Dans quel état l’ai-je trouvé? Dans un état lamentable. 

Quel choc. Quel coup. Ô déception, Ô tristesse. Ma ville bien aimée ressemble à Troie dévastée. Un immense champ de ruine, et c’est peu dire. Une ville sans aucune (mais alors aucune) modernité. En 6 ans, pas un nouvel édifice, pas une nouveauté probante, pas une couche de peinture sur les principaux bâtiments du centre-ville. Et que dire des routes? Là c’est carrément des pistes pour l’enfer. Complètement détruite, « pourrie » pour dire comme les jeunes. Ces routes sont tellement mauvaises que le contingent automobile de la ville s’est réduit comme peau de chagrin, laissant place aux motos. (Je reparlerai des motos dans une autre chronique). 

Nkongsamba jadis 3e ville du pays, ne figure sans doute plus aujourd’hui parmi les dix premières. La ville est, depuis plusieurs années sur une pente descendante. Les pouvoirs publics, de même que les élites du coin l’ont abandonnée à son triste sort. Ce qui faisait son charme auparavant (cosmopolitisme, abondance de produits de consommation) n’est plus un avantage de nos jours. En plus, le café, principal culture de la région, ne fait plus recette. Les planteurs (agriculteurs) qui constituent l’essentiel de la population de la ville, ont donc perdu énormément de pouvoir d’achat. Ils ne sont pas les seuls d’ailleurs. Les autres petits commerçants de la ville ne sont pas les mieux lotis non plus. 

Pourtant, la population de la ville est jeune. Les établissements se multiplient. Pour une ville d’à peine plus de 100 000 habitants, on compte plus d’une dizaine d’établissements du secondaire, parmi lesquels 4 lycées au cycle complet (de la 6e en terminale). Un Institut supérieur, établissement post-bac, l’Institut supérieur de management du Manengouba (Ismam) s’est même ouvert dans la ville, avec plus ou moins de succès. 

Ancien pôle d’excellence sportif, Nkongsamba fait peine désormais. Pas une équipe de foot en championnat d’élite. L’Aigle de Nkongsamba, ancien porte fanion du département végète en Ligue (D3). Les autres clubs qui se sont créés dans la ville pour reprendre le flambeau ne font guère mieux et sont aussi engagés dans des échelons inférieurs du foot national. Dans les autres disciplines, ce n’est guère mieux. L’athlétisme n’a presque plus de champion licencié dans la ville. Le handball et le basket, sont quasi-morts également. 

Au final, c’est à la ville que Césaire décrit dans son Cahier d’un retour au pays natal que j’ai pensée quand j’ai revu ma ville. Une ville triste, qui ne sourit plus, qui ne rythme plus, qui se meurt. Une vraie Ville morte. 

 

 

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